La curiosité, l’humour, l’ouverture d’esprit et la passion qu’affiche le guide accompagnateur envers son pays contribuent grandement au succès d’un voyage. Mission accomplie, Mohammed ! Et l'histoire du mouton berbère, un grand plus.
« Le mouton tunisien est différent des autres », lance au débotté Mohammed, alors que nous sommes à déguster calmos un loup de mer au restaurant Au bon vieux temps, à Sidi-Bou-Said.
C’était en mai 2015, au premier jour d’un voyage de deux semaines qui allait nous conduire dans le Sahara, au déploiement du désormais plus grand drapeau du monde, selon le livre des records Guinness : le drapeau tunisien. Et si cet événement fut spectaculaire, ce ne fut rien à côté de petits détails de la vie au quotidien découverte grâce à notre charmant guide.
Mohammed est guide touristique national en Tunisie depuis son retour du Québec, où il a séjourné quelques années, le temps de compléter un baccalauréat en génie informatique à l’École polytechnique de Montréal, puis à l’Université McGill. Le peuple québécois, il connaît.
Et qu’est-ce qu’il a de spécial, le mouton tunisien, à part d’être bon au goût ? « Il a une queue grasse et le bélier a besoin de l’aide du berger lors de l’accouplement. »
Et vlan ! Le ton du voyage était donné ! On ne s’ennuierait pas avec Mohammed. Déjà qu’on avait eu droit à une explication détaillée, à quatre pattes, d’un pan de l’histoire tunisienne inscrite au sol sur une méga et riche mosaïque au musée du Bardo.
Il était clair que du mouton tunisien, nous connaîtrions les us et coutumes dans le détail. Mohammed nous promettait une rencontre privée dans la plaine avec le ruminant à queue grasse et aux longues oreilles pendantes.
« Oui, une queue pourvue d’une énorme réserve de graisse, explique Mohammed. C’est la race barbarine. Elle est très ancienne et sa principale qualité est sa rusticité. La brebis est capable d’élever son agneau dans un climat et un milieu très défavorables. Elle a une aptitude à pâturer dans des conditions d’extrême chaleur estivale et à supporter la soif. »
C’est entre Hammamet et Sousse, dans une plaine parsemée de romarin, d’arbrisseaux et de touffe d’herbes sur fond d’oliviers, que se fit la rencontre avec le berger qui aura la tâche de nous montrer comment s’accouple le bélier avec la brebis quand la queue si grasse devient un obstacle. « Un ménage à trois nécessaire pour assurer la reproduction », précise le guide.
Mohammed interpelle le berger, surpris de nous voir là tous les quatre dans ce champ aride, sous un soleil de plomb. Il accepte de se prêter au jeu, amusé par la détermination et la passion du guide et par nos regards quelque peu médusés devant cette situation… d’exception.
Puis, le berger se lance à la recherche d’une brebis pas trop effarouchée par le contexte. Mais le troupeau d’une trentaine de moutons fuit. Les ovins sont des animaux peureux et sensibles au stress. Mais le berger reste calme et ne s’ensuit aucun mouvement de panique.
Il se nomme Semi et travaille seul. Comme les vols sont fréquents et qu’il n’a pas de chien, il doit être présent auprès de son troupeau. Semi vend les moutons ou simplement la laine. Ce terrain appartient à sa famille. Il est loué pour le pâturage à d’autres gardiens de moutons.
Au loin, dans la plaine, nous apercevons une tente berbère. Des nomades bergers y sont installés. Lorsqu’il n’y aura plus d’herbe ici, ils continueront leur route vers le nord de la Tunisie.
« La race barbarine aurait été introduite au pays par les Phéniciens dans le millénaire avant notre ère, explique Mohamed. Elle constitue plus de 60 % de l’effectif total des ovins. »
Tu ressembles à un évêque, Mohammed, avec ton bâton en forme de crosse. « C’est une houlette, pas une crosse d’évêque ni un sceptre de roi. La partie courbée sert à attraper le mouton par la patte arrière. La canne en bois facilite aussi la marche du pâtre. »
Voilà qu’arrive Semi avec une brebis, aussitôt suivi d’un bélier en flamme. Si elle a été difficile à attraper, lui fut facile à coiffer. En moins de deux, il grimpe sur la femelle. Seul hic pour le mâle en rut : la fameuse grosse queue grasse qui est définitivement dans le chemin.
Alors intervient le berger, qui aura pris soin, avant l’accouplement, de se couper les ongles de façon à ne pas blesser les organes génitaux du mâle. Sinon, fini, il ne pourra plus s’accoupler.
Puis, il pousse la queue grasse de la femelle sur le côté pour permettre au mâle de faire son travail.
Tout simple ! Mais cette fois-ci, le bélier de repartir la queue entre les pattes après cette cruelle tromperie. Car aujourd’hui, pas d’oeuvre de chair, ce n’est pas la saison de la reproduction.
Juste une mise en scène pour nous montrer l’importance du berger dans la steppe tunisienne.
N’empêche que, plus jamais je ne mangerai d’agneau sans penser à la race barbarine à queue grasse, qui transhume dans les plaines semi-arides de la Tunisie, depuis les Phéniciens…
Publié le 15 août 2015 dans le quotidien québécois Le Devoir : https://www.ledevoir.com/vivre/voyage/447399/tunisie-le-berger-la-brebis-et-le-belier
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