Un jus de mangue siroté sous une paillote, une randonnée sur un morne, une discussion avec un artiste, un hôtelier, un pêcheur, un paysan… Du tourisme en Haïti ? Pas si farfelue que ça, comme idée. À la condition d’être un brin curieux et vivement désireux de vivre une aventure humaine, au-delà de la simple destination soleil. Et de sortir de Port-au-Prince, qui n’a pas trop la cote, pour profiter du reste du pays. Haïti ne se résume pas à sa capitale.
Sur les recommandations d’une amie, j’avais pris soin de mettre dans une poche deux dollars américains pour le panier à bagage à l’aéroport Toussaint-Louverture, puis trois dans l’autre, destinés au porteur obligatoire. « On va se la disputer, ta valise, ne la perd pas des yeux. Et sois ferme, trois dollars. » Oui, Lina, mais tu ne m’avais pas dit que le porteur serait accompagné de cinq assistants et qu’il y aurait une telle marée humaine aux portes de l’aéroport.
C’était en mai 2010, quelques mois après le tremblement de terre. Comme beaucoup, j’étais touchée par l’ampleur des dégâts. Comment se rendre utile ? Je suis journaliste en tourisme, pas secouriste. Et à cette heure, le tourisme en Haïti, était impensable. Du moins, c’est ce que je croyais, jusqu’à ce que j’écoute le témoignage de Jean-Hughes Roy. Le journaliste de Radio-Canada revenait d’un séjour à Port-au-Prince avec une vision pas si négative du pays.
« Je m’attendais à une situation bien plus désarticulée, avait-il dit. Mais les choses se placent petit à petit. L’aide humanitaire est opérante. Il y a de la nourriture, de l’eau. Pourquoi ne pas exprimer sa solidarité envers Haïti en prenant des vacances là-bas ? Haïti a besoin de devises, de travail, d’investisseurs. Y aller en touriste serait une façon de relancer l’économie du pays. »
« Haïti demeure une destination spéciale », concède Jacqualine Labrom, directrice de l’agence Voyages Lumière, située à Pétion-Ville, un quartier de Port-au-Prince. « Mais les gens ne devraient pas accorder crédit à tout ce qui se dit sur le pays. Ce n’est pas plus dangereux de venir ici que d’aller en République dominicaine, qui détient un taux de criminalité plus élevé qu’Haïti. Haïti est en crise, pas en guerre. Et le tourisme, qui gagnait du terrain avant le séisme de janvier 2010, continue d’évoluer avec la construction de nouveaux hôtels dans le reste du pays. »
Farfelue ou pas, ma décision était prise. Je partirais une semaine, question de me forger une opinion personnelle de la situation en Haïti. Était-ce aussi négatif qu’on le dit ? J’éviterais Port-au-Prince, où règne un chaos sans bon sens, et j’irais à Jacmel, à 80 km au sud-est de la capitale.
Et je suis tombée sous le charme du pays. J’ai découvert des hôtels et des galeries d’art. J’ai mangé dans de bons restaurants, randonné sur de belles montagnes, exploré des grottes. J’ai rencontré un peuple accueillant et créatif. Généreux aussi. J’ai tout de suite su que je reviendrais.
Un an plus tard
Comme il n’existe pas de guide touristique sur Haïti dans les librairies — à l’exception d’un petit manuel publié chez Assimil Évasion, Le créole haïtien de poche, qui propose une première approche de la langue et de la culture, je m’en remets au personnel des hôtels et aux Haïtiens rencontrés au jour le jour pour découvrir le pays. C’est grâce à leur aide si chacun de mes voyages a été un succès. J’encourage le voyageur à avoir recours à cette ressource précieuse.
Et si le taxi promis par l’hôtel ne se pointait pas ? « Dans ce cas, choisissez un chauffeur de taxi enregistré ou qui possède un permis de l’Association Chauffeur/Guide, conseille Jacqualine Labrom, et comme les gens d’affaires, les travailleurs d’ONG et les journalistes nombreux remplissent les hôtels de la capitale, je vous recommande de réserver votre gîte. »
Ouf ! Tel que promis par le propriétaire de l’hôtel Port Morgan, à l’île à Vache, le chauffeur était au rendez-vous. Si récupérer ses bagages à l’aéroport demeure un exploit, pas de marée humaine à franchir cette fois-ci à l’extérieur. Et plus d’amas de roches au centre des rues. Moins de poussière, moins de tentes de fortune. Des routes et des carrefours en construction.
« Il y a une réelle volonté de faire bouger les choses, affirme le consul général d’Haïti à Montréal, Justin Viard. En ce moment, on met les bouchées doubles pour redorer l’image du pays, mis à mal par l’Histoire et le destin, et refaire d’Haïti une destination touristique de choix. »
Parmi les nouvelles constructions prévues pour Port-au-Prince : un hôtel Best Western de 105 chambres, un hôtel Marriott de 168 chambres et le complexe hôtelier Oasis, qui devrait comprendre 132 chambres, une galerie commerciale, un centre de conférence, des restaurants. Et la restauration de l’aéroport international, dont la fin des travaux est prévue pour l’été 2012.
« Dans la région de Jacmel, le ministère du Tourisme prévoit à court terme la restauration du monument historique, le marché en fer de Jacmel », précise Dithny Joan Raton, directrice départementale du Tourisme du sud-est d’Haïti. « De même que la dynamisation du quartier de l’artisanat, la mise en valeur du site naturel de Bassin bleu et du Morne Laporte. Environ 150 chambres sont en construction dans la région et depuis l’an dernier on assiste à une augmentation des restaurants vers les plages de Kabik et de Marigot. » Haïti a résolument le vent dans les voiles !
« Sans compter la réhabilitation prochaine de certains aéroports régionaux en aéroports internationaux, comme ceux de Cap Haïtien, de Jacmel et des Cayes. De façon à désenclaver le pays et à permettre aux touristes d’atterrir directement dans ces régions au potentiel touristique riche, explique Justin Viard. Jacmel sera méconnaissable l’année prochaine. »
Voyage à l’île à Vache
« Tout ira bien, soyez rassuré, m’avait dit au téléphone Didier Boulard, cofondateur de l’hôtel Port Morgan, à l’île à Vache. M. Benoît ira vous chercher à l’aéroport, pour vous mener à l’hôtel Le Plaza, situé au coeur de Port-au-Prince. Puis le lendemain un autre chauffeur vous conduira à l’arrêt d’autobus pour Les Cayes, où un employé de l’hôtel Morgan viendra pour vous amener au quai de la ville, où une navette vous attendra. » Un parcours sans anicroche aucune.
Un voyage inoubliable, dans un petit « écohôtel » au luxe rustique chaleureux et intime, construit sur les hauteurs d’une baie qui servait de refuge aux pirates au xviie siècle. Pour entretenir l’immense terrain, la piscine à l’eau de mer ainsi que les 22 chambres installées dans des cases créoles, l’hôtel emploie 40 personnes provenant du village voisin de Cacoq, où une équipe de foot du nom de Ti-Canada (ainsi nommé par un médecin montréalais qui a élu domicile à l’île à Vache) rencontre les dimanches une équipe d’un autre hameau de l’île de 48 km carrés.
Pas de routes, pas d’autos, pas de bruit, si ce n’est le vent dans les palmiers, le rire des enfants sur les mornes et le piaillement des oiseaux. L’île à Vache se découvre à pied, à vélo, à dos de cheval, en bateau. En Haïti, pas de formule toute faite. « On y va sans conteste pour y vivre une aventure humaine », soutient Rodney Saint-Éloi, écrivain et éditeur de la maison d’édition Mémoire d’encrier.
En vrac
Hébergement Trois coups de coeur pour de petites structures qui n’ont rien du grand resort de bord de mer et qui, malgré un luxe rustique, résulte d’une approche responsable : L’hôtel Port Morgan, l’île à Vache, Didier Boulard, portmorgan.com. L’hôtel Cyvadier Plage, à 20 minutes du centre historique de Jacmel, Christophe Lang, 011 (509) 47 79 28 45/34 82 25 85/38 44 82 65. L’Auberge Inn, dans la petite ville de Jérémie, département de Grand’Anse, à l’ouest du pays, Juliette Nicolas Tardieu, 011 (509) 37 13 15 24, jc_nicolas@yahoo.com.
Se renseigner auprès du consulat d’Haïti à Montréal; haiti-montreal.org/. Voyages Lumières (Jacqualine Labrom), une agence de voyages située à Pétion-Ville, à Port-au-Prince (voyageslumiere.com). Ou directement avec les hôteliers, qui sauront vous mener à bon port.
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