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  • Photo du rédacteurHélène Clément

Kirghizistan - Au pays des nomades


Une mosquée chinoise construite sans clous, achevée en 1910 après trois ans de travaux par un architecte et vingt artisans chinois de la communauté dungan. Fermée par les bolcheviques de 1933 à 1943, elle est de nouveau un lieu de culte.

Article publié dans le Devoir du 8 septembre 2012


Le Kirghi... quoi? C'est la réaction générale lorsqu'on parle du Kirghizistan. Admettons que le nom est étrange: Kirghizie pour les uns, Kirghistan pour les autres, ou République kirghize pour qui souhaite éliminer le «stan» généralement associé à un climat d'instabilité politique et sociale. Blotti entre le Kazakhstan, la Chine, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan, on n'a qu'une idée confuse de ce petit pays d'Asie centrale: des paysages démesurés, un peuple intimement lié au nomadisme et une culture authentique que 70 ans de c


Bichkek — Une statue en bronze de Lénine, la main tendue vers «l'avenir», trône sur une place derrière le Musée historique de l'État. Vestige d'une doctrine révolue. Si l'on suit bien le doigt, il mène tout droit à l'Université américaine. «Il y a plus de 30 000 Américains au pays, dont 15 000 soldats qui assurent le respect des frontières chinoises», raconte Ishen, propriétaire de la petite entreprise familiale kirghize de randonnée à cheval, Shepherd's Way Trekking. «Il y a aussi, à Bichkek, l'École internationale qui assure l'éducation des expatriés. Six mille Américains vivent à l'hôtel Hyatt Regency, un cinq étoiles avec piscine, casino, restaurant et bar.»

Le centre-ville de la capitale du Kirghizistan n'est pas grand et se parcourt facilement à pied. Construit sous le régime soviétique, rien n'étonne dans son plan simple et rationnel. On dirait un grand village alpin qui mélange bâtiments à l'architecture stalinienne, parcs et jardins. Pas de grandes structures commerciales mais une place centrale verte, parsemée de sculptures, où sont réunis théâtres, musées et centres administratifs. Devenue Bichkek en 1991 après avoir porté les noms de Pichkek au XIXe siècle et de Frounze au XXe, la capitale kirghize est comme une ville surgie de la forêt avec comme toile de fond les montagnes Tian Shan.


Chose certaine, le Kirghizistan n'a pas volé son sobriquet de «Suisse soviétique» ni le surnom de «château d'eau» de l'Asie centrale: 6600 kilomètres carrés de neige et de glaciers, 1923 lacs... «Là résident toute la force et la richesse exportable de ce pays qui voit le pétrole couler à flots chez son voisin kazakh et le gaz jaillir des gisements ouzbeks», note Jacqueline Ripart, auteur de Kirghizistan, terre des chevaux célestes.

Un voyage au pays du nomadisme signifie lâcher prise avec ses petites habitudes de vie aisée. Rares sont les endroits sur la planète où l'on peut rencontrer un peuple autant en osmose avec la nature et encore à l'abri du matérialisme occidental. Cela, malgré sept décennies d'une politique de sédentarisation et de modernisation soviétique.

C'est à la lecture d'un reportage dans un magazine français, il y a cinq ans, que j'ai eu envie d'aller dans ce pays d'une superficie égale à cinq fois la Suisse et qui nécessite l'atlas pour le mieux situer. Le texte racontait la vie quotidienne des nomades, l'été, dans les montagnes kirghizes. L'auteur venait d'y vivre une expérience joyeuse de dix jours à cheval.


L'article était joliment illustré de photos: enfants souriants assis sur de magnifiques tapis colorés; fier berkoutchi (chasseur à l'aigle) avec son aigle royal; accordéoniste devant son bozu (tente de feutre semblable à la yourte des Mongols); femme battant son koumiss, ce fameux lait de jument fermenté censé soigner la leucémie; jeune marié sur un cheval kirghize à qui l'on offre de ce lait alcoolisé au goût étrange. Et toujours ces montagnes grandioses...

Les photos avaient parlé! Un jour, comme Alexandre Le Grand, Ghengis Khan, Marco Polo, Nikolaï Prjevalski, ou plus près de notre époque Ella Maillart, j'irais me rendre compte par moi-même de la beauté des Tian Shan, ces monts Célestes qui composent 95 % du territoire, les autres 5 % étant couverts de steppes, de plaines et de déserts et parcourus par la route de la Soie. N'est-ce pas Ella Maillart qui avait dit «lire, c'est bien, mais il est mieux d'aller voir»?

Yourtes et datchas

Le Kirghizistan, c'est un peu le bout du monde, mais un bout du monde facilement accessible. De Toronto ou Paris, au choix, on prend l'avion pour Moscou, puis un troisième, et c'est Bichkek. De là, il faut compter cinq heures de voiture avant d'atteindre le village de Barskoon, sur les rives du lac Issyk Kul. On arrive donc un peu flagada à destination. Mais bon!




La route jusqu'à Barskoon n'est pas banale. Bordée de hautes montagnes, elle longe au nord le Kazakhstan, puis à l'est et au sud, la Chine. À peine sorti de Bichkek, on se prend un torticolis à force de lever la tête pour admirer les sommets effilés, les tours enneigées, les corniches couchées sur le vide. Partout, le regard ne croise que la hauteur. Et on ne s'en lasse pas.

Bien que ces dernières années de nombreuses mosquées aient été construites dans tout le pays, l'atmosphère reste communiste. Le passé soviétique se lit dans l'architecture, la toponymie, les volets sculptés, les palissades pimpantes, les jardins, les faucilles et les marteaux rouillés pendus aux poteaux des villages. «Beaucoup de gens regrettent l'époque soviétique», explique Gulmira, la femme d'Ishen qui nous accompagne jusqu'à Barskoon. «On déplore la misère causée par l'isolement du pays, le manque de charbon, de betteraves et de structure, quoi!»

Le temps d'un thé dans une yourte de bord de route et nous reprenons le chemin. Et tant pis si les clichés disent encore vrai: trois petits enfants à dos d'âne vêtus d'habits colorés, les joues rouges et l'air coquin, samovars fumants et steppes parsemées de bozus et de cimetières, salaam chaleureux dans les villages et partout le cheval, force motrice du pays.



Du lac Issik Kul, on retient qu'il est le deuxième plus grand lac d'altitude au monde après le Titicaca, qu'il peut atteindre jusqu'à 695 mètres de profondeur, qu'il est chaud et salé, agréable pour la baignade, que ses eaux représentent une richesse au même titre que le gisement d'or des monts de l'Altaï et que les autorités kirghizes aspirent à en assurer le développement touristique.

Mais pour l'instant, l'eau de ce magnifique lac de 180 kilomètres de longueur et 60 de large porte sur ses vaguelettes la mauvaise réputation d'être polluée au cyanure, résidus générés par la Kumtor Operating Company, une société kirghize d'exploitation aurifère et dont des Canadiens sont actionnaires minoritaires. Des riverains bloqueraient encore régulièrement la route menant au gisement, l'un des plus hauts — 4200 mètres — et des plus grands au monde, en signe de protestation.

À la coopérative de yourtes de Barskoon, Gulia, Nurjan et Nuripa effectuent le feutrage des shyrdaks, ces tapis colorés couverts de motifs prédécoupés, en aspergeant d'eau chaude la laine avant de la rouler jusqu'à ce qu'elle devienne compacte. Les shyrdaks sont assemblés à partir de laine de mouton ayant subi des semaines de lavage, de séchage, de teinture et de traitement vermifuge. Et toujours ce large sourire laissant entrevoir une ou deux dents en or...


Pourquoi Barskoon? La compagnie Shepherd's Way organise des randonnées à cheval dans les montagnes derrière le village. Le premier soir, Gulmira et ses soeurs accueillent leurs invités dans une yourte traditionnelle dressée dans leur jardin. Encore tant pis pour les clichés: d'abord un bain dans le hammam, puis une visite du jardin en compagnie du père de Gulmira, un souper servi dans la yourte et une nuitée bien méritée après deux jours de route depuis Montréal.

La porte d'un bozu est toujours ouverte au visiteur;, le thé, le koumiss, le pain, la crème, la confiture et le miel n'attendent que lui et l'invitation ne se refuse pas. Le samovar fume en permanence. En montagne, dès qu'on s'approche d'une yourte, on nous invite à enlever nos souliers, à passer à droite si on est une femme et à gauche si on est un homme; on nous offre un piala (petit bol) pour le thé que la maîtresse de maison ne rempliera pas nécessairement. C'est bon signe: on tient à vous! Un bol plein aurait été une subtile invitation à prendre congé.

L'enchantement d'un voyage en Asie centrale tourne rarement autour des découvertes gastronomiques: établissements touristiques souvent ennuyeux, échoppes de brochettes humbles, restaurants et cantines aux relents d'ex-Union soviétique... Les plats standards y sont mangeables mais sans plus. Par contre, si l'on arrive à franchir le seuil des habitations, l'expérience est tout autre. Chez l'habitant, une bonne cuisine traditionnelle va de pair avec l'extraordinaire hospitalité de la population. Et Dieu qu'on a bien mangé chez Gulmira! Demain, c'est le grand départ.



La rencontre en montagne avec les nomades n'est pas un cliché. C'est une réalité concrète qui n'a rien d'un roman à l'eau de rose. L'été, ces rudes montagnards montent au jaïloo (pâturage d'été) avec leurs bêtes et y établissent leur campement pour quatre mois. «Les Kirghizes restent des éleveurs et des bergers», explique Jacqueline Ripart.

Comme les machines agricoles héritées des kolkhozes ont disparu faute d'entretien et que la voiture, objet de luxe, est encore réservée à une minorité, le cheval est plus que jamais un compagnon de labeur. On le croise d'ailleurs partout, dans les rues, sur les routes et les pistes, attelé à la charrette ou plus souvent monté.

Un fracas, amplifié par l'écho de la montagne, déchire le silence du matin. Le claquement des fouets résonne, suivi du martèlement des sabots des chevaux qui fait trembler le sol. Les tchabanes lancent des cris à tout rompre, encouragés par les tout-petits qui, fouet à la main et pouce dans la bouche, tentent d'imiter leur père. Ici, on apprend à monter avant de marcher.

Bien que le pays soit accessible à tous, un voyage au Kirghizistan, ce n'est pas pour tout le monde. Il faut vraiment avoir envie de lâcher prise. Mais tous ceux qui auront la chance d'y mettre les pieds avant que les investisseurs découvrent ce petit joyau en reviendront réellement transformés. On n'y rencontre encore que du vrai. Salam aleykum!

En vrac

- Caval'Rando, basé dans les Pyrénées, en France, organise de très sympathiques voyages à cheval. Au Québec, à date, il n'y a aucun prestataire pour ce type de voyage en République kirghize. % 05 61 03 86 37, www.cavalrando.com.

- On peut passer directement par la compagnie kirghize Shepherd's Way trekking à Bichkek. Gulmira, Ishen &Rash Obolbekov, P.O. Box 2032, Bichkek 72 0000, Républiqque Kirghize. % +996-312-29 74 06, + 996-502 51 83 15, www.kyrgyztrek.com.

- Le meilleur moment pour aller au Kirghizistan se situe entre la mi-juin et la mi-septembre.

- Un visa est nécessaire pour les Canadiens. On peut l'obtenir en deux jours auprès de l'ambassade de la République kirghize à Washington. % (202) 338 5141, www.kyrgyzstan.org.

- Le Kirghizistan est l'un des chefs de file au monde des projets d'écotourismes qui mettent les voyageurs en rapport avec des familles. Les programmes de Shepherd's Life et du Communauty Based Tourism (CBT) constituent une initiative intéressante inspirée par le projet de développement suisse Helvetas. Des bureaux d'information touristique mettent les visiteurs en rapport avec un vaste réseau de guides, de chauffeurs et de familles désireuses d'héberger des hôtes, dans des villages ou des jaïloo. Ces organismes dispensent toutes sortes de prestations, du logement bon marché chez l'habitant au trek à cheval entièrement pris en charge. On peut même vous faire rencontrer des chasseurs à l'aigle et des fabricants de shyrdak. Pour des renseignements concernant les voyages responsables et solidaires: www.boutdumonde.ws.

- Lectures: Asie centrale - La Route de la soie, Lonely Planet; et Nomade sur la voie d'Ella Maillart, Petite bibliothèque Payot.

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