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  • Photo du rédacteurHélène Clément

France - L'estuaire de la Gironde - De vigne, de pierre et d'homme




Né au Bec d'Ambès de l'alliance de la Garonne et de la Dordogne, l'estuaire de la Gironde jette ses eaux dans l'Atlantique, entre Royan et Verdon-sur-Mer, près du phare de Cordouan. En bordure de la presqu'île, des routes semées de vignes, de villages anciens, de clochers romans, de grottes et de moulins se découvrent à petites doses. Médoc sur la rive droite, Blayais sur la rive gauche. Margaux, Pauillac, Saint-Estèphe... Autant de noms qui sonnent aux oreilles des épris de vin comme une volée de cloches les jours de fête. Mais la culture du vin ne s'adresse plus qu'aux virtuoses. Depuis quelque temps, bon nombre de châtelains bordelais ouvrent leurs portes et leurs caves. Le but: sensibiliser les touristes de façon ludique aux procédés de vinification en toute simplicité.


Bordeaux — Les chiffres parlent pour le département de la Gironde: 120 000 hectares de vignes s'épanouissent sur 500 communes, 57 appellations d'origine contrôlée, 8000 châteaux et 13 000 viticulteurs, dans un rayon de 110 kilomètres d'ouest en est et de 130 kilomètres du nord au sud. Cinq routes des vins sillonnent le Bordelais: Saint-Émilion, l'Entre-deux-Mers, la région de Blaye et de Bourg, la région des Graves et celle de Médoc, qui possède les plus prestigieux des grands crus classés de Bordeaux ainsi que des crus bourgeois. De quoi faire tourner les têtes!

«Il était temps, ici, qu'on démocratise l'univers du vin», croient certains vignerons qui, en transmettant leur savoir-faire, souhaitent redorer le blason de la viticulture bordelaise, victime de la concurrence des vins du Nouveau Monde et des nouvelles habitudes de consommation. C'est qu'on boit de moins en moins de vin en France, les jeunes lui préférant les cocktails colorés.

Philippe Raoux, héritier de quatre générations de vignerons et propriétaire du château d'Arsac, a réagi à la crise de la filière viticole en créant à Arsac-en-Médoc, en 2007, la Winery. À l'instar des modèles anglo-saxons qu'il a découverts il y a 30 ans dans la Napa Valley, en Californie, le complexe d'oenotourisme revisite l'art de la dégustation et propose une approche accessible et personnalisée du monde du vin. Ici, pas de château ni de cave traditionnelle.

La structure de verre et d'inox plantée dans un parc de 26 hectares représente une serre à l'envers, où l'homme est à l'intérieur et la nature à l'extérieur. Situé à 30 minutes de Bordeaux, le long de la route touristique qui mène aux vignobles, le bâtiment très design est étonnant dans la vitisphère française du Médoc, encore attachée à la conservation de ses codes.

La démarche de Philippe Raoux s'inscrit dans la continuité du château d'Arsac, sa propriété viticole de 112 hectares en AOC Margaux et Haut-Médoc qui abrite une collection d'oeuvres signées Niki de Saint-Phalle, Bernard Pagès, Vincent Monthier... Philippe Raoux continue donc, à la Winery, de mettre «de l'art dans son vin» en s'engageant dans une démarche d'acquisition d'oeuvres sculpturales. Pour témoigner de la fantaisie des lieux, L'Arbre du soleil, une immense sculpture de 15 mètres en acier rouge, créée par l'artiste japonais Susumu Shingu en hommage aux éléments naturels du Médoc, balise le chemin d'accès au resort.

Assise à l'une des longues tables blanches d'une salle ultramoderne et ensoleillée de la Winery, avec trois verres à vin vides disposés devant moi et un élégant crachoir pour dégustation à partager avec mon voisin, je m'apprête à découvrir de façon ludique mon «signe oenologique»: «Sensuel, esthète, explorateur, insoumis, éternel, musclé, tendance, gourmand?»

«Vous n'êtes pas là pour juger mais pour trouver le sommelier qui sommeille en vous», explique Julien Bolo, l'homme qui orchestre la dégustation de six vins de caractère différent. «Le jeu consiste à apprendre à déguster le vin, à en explorer la complexité et la richesse aromatique, à en apprécier sa robe, à mettre des mots sur ses sensations. Sentez l'odeur du cerf, on l'entend quasiment bramer. Goûtez le boisé.» D'abord sentir, puis goûter. Zut, impossible de voir les étiquettes sur les bouteilles! De toute façon, elles ne garantissent pas l'assurance d'un bon vin.

À l'aide d'un boîtier électronique, les participants donnent leur appréciation de chaque vin goûté. Les informations sont par la suite analysées grâce à un logiciel spécial «qui a nécessité deux ans de conception et de mise au point», explique Julien Bolo. Qu'on se révèle «gourmand», «éternel» ou «musclé», on repart avec un livre de cave personnalisé nous guidant vers les vins qui nous conviennent parmi les 1000 références proposées, en fonction de notre budget.

Tout a été pensé, jusqu'à la quantité de vin servie lors de la dégustation, qui ne dépasse pas le quota permis par le code routier français. Car n'allez pas penser que l'on recrache la chose!

Vin rond, gourmand, élégant, aux tanins onctueux; vin suave dont l'opulence séduit à toute heure; vin solide comme du roc; vin gorgé de soleil; vin boisé, floral, fruité, animal, minéral, épicé, balsamique, végétal; vin anguleux, bourru, loyal, généreux, troublé, capiteux, dentelle, cristallin. Que de beaux mots et... de bons vins! Quelques heures passées à la Winery suffisent pour enrichir son vocabulaire d'un grand nombre de vocables et de taxons oenologiques.

Un séjour dans l'estuaire de la Gironde commence d'ordinaire par la visite de Bordeaux, porte d'entrée naturelle aux vignobles de la région. Au coeur de la ville, la Garonne, dont les berges ont servi pendant plusieurs siècles un port marin, est considérée par les Bordelais, déjà ou encore, comme l'appendice de l'océan. Impossible de se mirer dans l'eau tellement elle est brune.

Depuis quatre ans, de grands travaux de nettoyage et de modernisation ont considérablement transformé le coeur de Bordeaux. La ville s'est littéralement métamorphosée. Un tramway, sans fil visible, relie maintenant les deux rives. Remodelée dans son ensemble, la place Pey-Berland est devenue piétonne, tout comme l'une des artères principales, le cours de l'Intendance, où l'on fait du lèche-vitrine en toute quiétude. Jusqu'aux pierres de la cathédrale Saint-André qui sont redevenues blanches après avoir été astiquées de bord en bord.

Sur les quais, rive gauche, on a aménagé avec bonheur une promenade pour les piétons, les cyclistes et les adeptes de rollers. Restaurants et guinguettes bordent la promenade. Autres attraits des quais: le marché fermier du dimanche et le marché bio du jeudi, ainsi que le miroir d'eau, une surface de quelques centimètres où se reflètent bâtiments et fontaine des Trois-Grâces.

Il n'est vraiment pas surprenant que la partie de la ville qui correspond à l'intérieur des boulevards jusqu'à la Garonne, y comprise, ait été classée l'année dernière au Patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO. Le maire de la ville, Alain Juppé, a vraiment le vent dans les voiles.

C'est au restaurant La Tupina, à Bordeaux, qu'on rencontre le comédien bordelais Éric Sanson. Le cadre est parfait pour une mise en scène digne de l'artiste, amoureux du vin et des mots. Impossible de ne pas craquer pour l'élixir rouge ou blanc, sec ou liquoreux, et le gigot de 7 heures ail en chemise du chaleureux restaurant de Jean-Pierre Xiradakis, élu deuxième bistro du monde par l'International Herald Tribune.

Éric Sanson est né dans une région de vignes, à Ambès, dans l'Entre-deux-Mers, assimilant sans retenue l'abécédaire de la fabrication du vin de son grand-père. L'artiste dira que l'amour du vin passe par le terroir. «Dès l'âge de quatre ans, mon grand-père me mettait dans la baste [panier dans lequel on verse le raisin avant qu'il ne soit introduit dans la cuve] en chêne pour fouler le raisin.» Du terroir, Éric Sanson en a donc avalé. Sa pièce Sanson dans le vin, présentée en période estivale à la Compagnie théâtrale du Mirail, à Bordeaux, témoigne de cette passion. Un détour obligatoire pour se mettre d'emblée dans l'ambiance des chais avant de prendre le chemin des vignobles.

Après l'escale bordelaise, cap vers Saint-Yzans-de-Médoc, au château Loudenne, pour une nuitée chez «le châtelain» en bordure de l'estuaire. On y accède par la route D2 qui coiffe les bourgs de Margaux, de Pauillac, de Saint-Estèphe. Avant de prendre le chemin royal, on privilégie un détour à Arcachon, avec son fameux bassin, le temps d'embarquer sur une pinasse, direction Grand Piquey, pour une dégustation d'huîtres dans le petit village de la presqu'île de Lège-Cap Ferret.

«C'est un rite de venir à la cabane même déguster quelques huîtres sur le pouce, explique Bruno Fabri, ostréiculteur à Grand Piquey. Vous remarquerez qu'elles sont très laiteuses parce que nous sommes en pleine saison de reproduction.»

Les Fabri cueillent leurs huîtres autour de l'île aux Oiseaux deux heures avant la marée basse. «Sur l'ensemble de la France, on produit en moyenne 100 000 tonnes d'huîtres par an et l'ostréiculture fait vivre près de 300 000 personnes. Rien que sur le bassin d'Arcachon, selon la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt de la Gironde, cette culture concerne 380 entreprises travaillant sur 780 hectares de parcs ostréicoles. La production globale d'huîtres de taille marchande oscille entre 8000 et 10 000 tonnes par an», lit-on dans le magazine Arcachon.

Un autre point fort de la région: la dune du Pyla, la plus haute d'Europe. La vue sur la mer ouverte est sublime et on devine que celle-ci offre des vagues d'enfer pour le surf. Longue de 2700 mètres, la montagne de sable, qui culmine entre 104 et 107 mètres, délimite au sud l'entrée du bassin d'Arcachon. En période estivale, les téméraires y font du ski, du deltaplane, du parapente.

Puis on reprend la route vers Pauillac en suivant l'estuaire de la Gironde. Les paysages entre les deux rives sont totalement différents. Sur la gauche, de Macau à la Pointe-de-Grave, on retrouve une plaine alluviale où domine un paysage viticole. Sur la droite, de grandes falaises et des collines. Les vignes se font plus rares.

Ah oui, mon profil oenologique! Eh bien, je suis «sensuel» ascendant «explorateur». J'aime les vins de fruits, faciles d'accès, souples, pas trop vieux. Mais loin de moi les tanins agressifs. Parmi les cépages, le Merlot se situerait en tête de classement. Tiens, tiens, un cépage bien bordelais.

En vrac

«On comprend mieux le vin quand on a participé à ses phases d'élaboration, après avoir vendangé, sélectionné les grappes de raisin sur une table de tri et assemblé différents cépages.» Tel est le message de Florence Lafragette, propriétaire du château Loudenne, qui en ouvre les portes aux visiteurs curieux. Pour une nuitée royale ou un plus long séjour, le très joli château est une bonne adresse. www.lafragette.com.

Le bassin d'Arcachon est le domaine de l'huître depuis l'Antiquité. Une route thématique permet de découvrir ce patrimoine. On y apprend la différence entre la gravette sauvage de l'huître japonaise, comment les ostréiculteurs récoltent les naissains sur les tuiles creuses et chaulées avant de les transférer dans le bassin où ils resteront deux ou trois ans. www.bassin-arcachon.com.

L'Hostellerie des Ducs, à Duras (www.hostellerieducs-duras.com), est une bonne adresse si vous planifiez de séjourner dans le bourg. La famille Blanchet a mis toute sa passion pour transformer un ancien couvent en un établissement de charme. On y mange bien. À quelques pas de l'hôtel, le château (www.chateau-de-duras.com) et la Maison des vins de Duras (www.cotesdeduras.com). Le vignoble des Côtes de Duras fut le premier à obtenir la mention AOC en 1937.

Dans un décor rustique et charmant, un repas et une nuitée au Moulin de Cocussotte, à Saint-Pierre-sur-Dropt, ne laisse personne indifférent. Il s'agit d'un vieux moulin sur le Dropt transformé en chambres d'hôte labellisées «Destination Vignoble». www.cocussotte.com.

Visite de la grotte de Pair-non-Pair à Prignac-et Mercamps, à 32 kilomètres au nord de Bordeaux. Si un chien a ouvert la voie de la grotte de Lascaux, à Pair-non-Pair, 60 ans plus tôt, c'est le sabot d'une vache qui s'est coincé dans un puits de jour. Classée monument historique en 1900, la fameuse grotte daterait de la période aurignacienne (entre 33 000 et 26 000 ans avant Jésus-Christ). La richesse des gravures sur les parois réside dans l'utilisation des accidents et reliefs de la grotte pour donner vie et volume aux animaux représentés: bouquetins, chevaux, bisons, ours. www.pair-non-pair.monuments-nationaux.fr.

Visite de la Winery et animation «Signe oenologique»: www.lawinery.fr.

En amont du phare de Cordouan, le plus vieux phare en activité, accessible en bac à marée basse seulement, quelques îles en pleine renaissance n'attendent que de présenter leurs atours. L'île de Patiras vaut la visite. Sur réservation, on peut s'offrir un repas gastronomique au refuge de Philippe Lacourt. Édifié sur 18 pilotis posés à 20 mètres de profondeur sur le lit de l'estuaire. Magnifique au coucher du soleil. www.gensdestuaire.fr.

À voir à Couthures-sur-Garonne: la scénovision Gens de la Garonne. Le spectacle inédit témoigne de l'amour des riverains pour leur fleuve. Un must. www.gensdegaronne.com.




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