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  • Photo du rédacteurHélène Clément

Canada - Prince Edward, ce voisin champêtre


Photo: Hélène Clément Vignoble de «The Grange of Prince Edward Vineyards and Estate Winery».

Dans le comté de Prince Edward, presqu'île située à 90 km à l'ouest de Kingston, le soleil se couche dans l'immensité du lac Ontario. Depuis 10 ans, la fièvre du vin a gagné le sud de cette région rurale mieux connue pour ses plages et ses dunes géantes que pour ses vignobles. Ici, le sol rappelle la Bourgogne et les cépages ont plutôt l'accent français. Balade au fil de la vigne pour le plaisir des sens.


Bloomfield — «Prince Edward County (PEC)», le «County» pour les intimes. «Wine Tour Itinary», lit-on sur l'invitation adressée par l'Association des vignerons du PEC. Sans réfléchir, je pense à un voyage à l'Île-du-Prince-Édouard. Mais le message indique: «À quatre heures de Montréal.» Oups, ce n'est pas l'Île-du-Prince-Édouard! D'abord, parce qu'il n'y a pas de «Route du vin» au pays d'Anne aux pignons verts; ensuite, parce que l'île se situe à dix heures d'auto d'ici.

Toujours est-il que j'ai fini par repérer le fameux comté — une péninsule de 700 km2, bordée de 800 km de rives, qui tient par un fil au continent et qui s'avance dans le lac Ontario, sur le site Web «Bonjour Ontario! Le territoire des grandes mers d'eau douce». Quant au Prince Edward, celui qui a donné son nom aux deux régions, il fut le quatrième fils de George III, le duc de Kent et de Strathearn, et le père de la future reine Victoria. Voilà pour le rapprochement!

On va dans le comté de Prince Edward pour goûter les vins, certes — qui, on le constate sur place, joueront gaiement dans la cour des grands d'ici peu —, mais aussi pour la région elle-même. La presqu'île vallonnée, ceinturée de baies et couverte de pâturages, de champs de maïs et de vergers, est ravissante. À peu près le genre de décor qu'offrent les Cantons-de-l'Est et le Vermont, le grand lac Ontario en toile de fond, qui ressemble étrangement à la mer, surtout quand il y a du brouillard.

Au sud-ouest de Cherry Valley, que l'on rejoint par la route 10, entre Picton et Bloomfield, se trouvent les Sandbanks. «Ce parc provincial est très fréquenté par les Québécois», dit Bruno François, propriétaire du vignoble Old Third Vineyard, à Hillier. D'ailleurs, près de la moitié de notre tourisme provient du Québec. Ce sont les plages qui attirent les vacanciers.»

Le photographe traquera de beaux instantanés des dunes géantes, qui atteignent parfois 25 mètres, au stationnement numéro 12 qui se trouve à proximité de l'un des cinq terrains de camping dans le parc provincial. Et sur le sentier d'interprétation «Cedar Sands», d'une longueur de deux kilomètres, qui raconte l'écologie des grandes dunes. On installe volontiers son trépied sur l'un des belvédères qui surplombent la rivière Outlet, le poulier et l'enfilade de dunes. Légende du lac

À l'est, la baie de Picton, qu'on longe jusqu'à Glenora, puis jusqu'à «Lake on the Mountain». Une légende mohawk raconte que les eaux turquoise de cette nappe d'eau fraîche, à 60 mètres d'altitude au-dessus du lac Ontario, sont peuplées d'esprits. Les pionniers, eux, la croyaient sans fond. Mystère! C'est que le lac juché à flanc de collines, sans cesse alimenté en eau fraîche, n'a aucune source apparente. Une énigme qui continue à faire suer géographes et scientifiques.

Sur la route 33, le segment qui traverse le «County» d'est en ouest, on aperçoit des panneaux bleu et jaune illustrés par deux personnages d'époque: le «Loyalist Parkway». La route historique suit le parcours de la colonisation des loyalistes entre Trenton et Kingston.

Le «Loyalist Parkway» se confond par endroits à la Route des saveurs, un itinéraire autoguidé d'une soixantaine de kilomètres entre Consecon à l'est et Cressy à l'ouest. Une trentaine de producteurs, vignerons, aubergistes, artistes et artisans accueillent les visiteurs au jardin, dans leur vignoble ou leur atelier, pour des expériences gourmandes et visuelles fascinantes. Un moment opportun pour goûter aux produits régionaux, dont plusieurs sont primés. Entre autres, les fromages de «The Fifth Town Artisan Cheese Company».

«Nous fabriquons de façon artisanale vingt-cinq fromages à partir de lait de chèvre, de brebis et de vache provenant des fermes du County et de la région de Quinte, explique Petra Cooper, propriétaire de la boutique. Nous sommes les seules en Amérique du Nord à être certifiées Platine selon les normes LEED. Et les seules installations en Ontario dotées de caves de vieillissement.»

Autrefois, le PEC était considéré comme le jardin du Canada, «The Garden County», comme on dit là-bas. On cultivait maïs, houblon, fruits et légumes. «L'économie agricole traditionnelle reposait sur les fromageries et la conserverie de pois, de tomates, de cerises et de citrouille, explique Wolf Braun, notre guide. Ici, en 1940, on fournissait jusqu'à 43 % des tomates en conserve du Canada.Une industrie florissante jusque dans les années 1950.»

Et puis, l'agriculture du pays s'ouvre brusquement à la modernité. Malgré la richesse de son sol, la douceur de son climat et son taux d'ensoleillement remarquable, la presqu'île ontarienne tombe dans l'oubli jusque dans les années 1990. Quelques entichés en tous genres flairent alors la manne: terre fertile par endroits, climat tempéré, sol argilo-calcaire... Cultivateurs bio et vignerons s'ajoutent aux fermiers d'antan et redonnent un second souffle à la petite péninsule.

Et c'est ainsi que débute l'histoire contemporaine de la vigne dans ce comté sans centre commercial, sans aucun kitsch, où jadis on coupait du bois, labourait le sol, faisait la contrebande du rhum, cultivait l'orge pour faire la bière, la pomme pour le cidre et les tomates pour la mise en conserve. Toutefois, les archives attestent la présence de la vigne sur ce territoire, à mi-chemin entre Montréal et Niagara, dès le XIXe siècle. Dorland Noxon, un habitant du village de Hillier, aurait reçu pour son vin une médaille d'or à l'Exposition universelle de Philadelphie, en 1876.

Révolution fruitée

Dans le PEC, l'invasion de la vigne constitue une véritable révolution depuis 10 ans. Le premier à s'y s'installer fut la Waupoos Estates Winery, à l'est du coquet village de Picton. Depuis, c'est l'explosion. On y compte une trentaine de vignobles, 800 acres de vignes et vingt-cinq établissements vinicoles ouverts au public. La deuxième «région vinicole désignée» en importance en Ontario, après Niagara, que l'on peine à placer sur une carte géographique des grandes régions du vin dans le monde. C'est que la région est jeune et les producteurs, trop petits.

Dans le County, les sols légèrement argileux et profondément calcaires rappellent la Bourgogne. Une comparaison que ne partage pas Frederic Picard, Bourguignon d'origine et maître de chai à la Huff Estates Winery. «Le comté de Prince Edward a ses particularités et produira son propre vin. Pourquoi comparer? Le plaisir ici est de créer un produit nouveau.»

Cela dit, le pinot noir et le chardonnay, deux cépages bourguignons, se plaisent bien sur les coteaux de la presqu'île. Et plus d'une quinzaine de vignerons produisent ici des vins issus de ces deux cépages nobles. Pinot gris, riesling et gewürztraminer donnent aussi quelques vins dignes de mention. Comme le «Pinot Gris 2009» de la Casa Dea Estates Winery, à l'arôme de pêche et d'abricot. Excellent pour accompagner rouleaux de printemps et porc au gingembre.

Ici, pas de châteaux, mais quelques architectures modernes, comme le bâtiment de la «Huff Estates Winery» avec ses immenses fenêtres qui vont du sol au plafond, offrant une vue spectaculaire sur le vignoble. Ou encore de vieilles granges rénovées sur le modèle de «The Grange of Prince Edward Vineyards and Estate Winery», un bâtiment qui remonte à 1826, au temps des loyalistes. La salle de dégustation, située sous le toit du bâtiment historique, exhibe une impressionnante cheminée en pierre et donne sur une terrasse avec vue sur l'étang et les vignobles. «Tout à fait digne d'un décor de campagne bourguignonne», affirme Sylvie, ma compagne de voyage, qui a grandi dans une barrique de raisins à Beaulne, en France. Invitant même en hiver!

Un colonel à la retraite, une Québécoise passionnée, un maître de chai bourguignon, un sommelier libanais, un ancien député du Nouveau Parti démocratique, autant de personnalités aux tannins souples, expressifs, veloutés... et cultivés! Dans le County, on ne se contente pas de peaufiner la dive bouteille, on veut faire du vin un fort argument touristique. Aussi bien en français qu'en anglais.

J'ai rencontré Monika Fida juste avant de quitter la presqu'île ontarienne en mai dernier. Après trois jours d'un voyage de presse à butiner d'un vignoble à l'autre, à goûter des vins, à déguster les produits de la région et à écouter la petite histoire toujours captivante des vignerons. Nous avions rendez-vous à l'auberge Angéline's, dans le village de Bloomfield, pour récupérer les paniers à pique-nique prévus pour le lunch du midi dans le train, en route vers Montréal.

Monika est Suisse d'origine. En 1988, elle et son mari Willi se portent acquéreurs d'Angéline's, une jolie demeure victorienne construite en 1869 par le couple Henry et Angeline Hubbs sur un terrain de 300 acres. Le père d'Angéline était à la tête du mouvement des Quakers pour tout le comté. Et Bloomfield était l'un des lieux de rencontre quaker dès le début du XIXe siècle.

«Il n'y avait rien à Bloomfield à notre arrivée. Tout était à faire. Le village s'appelait Fleurs des champs, mais il n'y avait que du vert. J'ai alors proposé un concours de jardin. Le prix: un voyage à Busch Gardens, en Floride.» Un concours qui a marqué le début des activités dans la région. Puis, le couple a redonné sa beauté d'antan à la demeure. Depuis le décès de son mari, ce sont ses deux enfants qui gèrent l'établissement. Avec beaucoup de brio d'ailleurs!

En rencontrant Monika, qui ce matin-là, guillerette, m'a présenté sa famille et parlé de son excellent chef, un Français fraîchement débarqué de Saint-Pierre et Miquelon via Halifax, je savais que je reviendrais. Pour le plaisir des yeux et les rencontres, mais aussi pour déguster sous un chêne, à l'heure où le soleil caresse les vignes d'une lumière dorée et où les ombres s'allongent sur les coteaux, un pinot à la trame aussi minérale que le sol. Comme en Bourgogne!

***

En vrac

En train: de Montréal, VIA Rail se rend tous les jours à Belleville, Ontario. De là, nous sommes à une dizaine de minutes en auto du County.

En voiture: à la sortie 566 de l'autoroute 401, on peut emprunter la route 49 Sud vers Picton. De Belleville, sortie 544, la route 62 Sud, direction Bloomfield. De Trenton, sortie 525, la route 33 Est en direction de Wellington. De Kingston, un trajet plus long, la route 2 Ouest jusqu'à Glenora, où l'on rejoint la 33 Ouest en empruntant le traversier.Sandbanks Estate Winery. Catherine Langlois, vigneronne et propriétaire des lieux, a grandi dans une ferme à l'île d'Orléans. Elle a fait ses classes à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec à Montréal avant de s'envoler en Bourgogne pour y travailler dans les vignobles. De retour, elle travaille dans le secteur des ventes du Pelee Island Winery. Mais l'appel du terroir est plus fort. Elle plante son vignoble de six acres dans le comté de Prince Edward en 2000 avec principalement des hybrides et des vinifera. Son baco noir étonne par sa finesse.www.sandbankswinery.co.

By Chadsey's Cairns Winery. Richard Johnston est un «gentleman farmer». Dans une autre vie il fut député provincial et directeur d'école. Sa femme Vida est psychothérapeute. Richard bichonne les raisins, Vida fabrique le vin. Leur production s'étend du chenin blanc rafraîchissant aux gewürtztraminers aromatiques, des gamays légers aux pinots corsés. www.bychadseyscairns.com.

Huff Estates Winery. Une chic cave aux barriques à vin alimentées par gravité. Frédéric Picard, maître de chai français, emploie des méthodes traditionnelles pour élaborer une variété de bordeaux classiques, y compris le merlot et le cabernet franc et des vins blancs tels le chardonnay, le riesling et le pinot gris. La galerie Oeno vaut la visite. www.huffestates.com. Norman Hardie ne produit que des cépages bourguignons, pinot noir et chardonnay. Très minéral, très sylex en bouche, avec la présence de petits fruits à chair blanche; j'aime son chardonnay 2008, que l'on retrouve sur la carte des vins du restaurant Le Toqué au coût de 119 $. Quant au Pinot 2008 (aussi au Toqué), il offre en bouche la cerise et la canneberge. Un peu acidulé, il se termine sur une note poivrée. On peut commander ces deux vins, vendus sur place 35 $, à l'agence Vinealis (vinealis.qc.ca) au coût de 39,95 $ la caisse de six. www.normanhardie.com.Établissements vinicoles du County: www.thecountywines.com.

À visiter: Carriage House Cooperage, une fabrique de tonneaux en chêne du Canada. www.thecarriagehousecooperage.com.

Chez Angeline's Restaurant & Inn. Le premier chef Sébastien Schwab est une perle rare. Sa trilogie de soupes aux légumes du march est divine, et encore plus divine est sa terrine de foie gras parfumée au cidre de glace du County, sucette de foie gras aux grains de sésame blancs. Et pas piqué des verts non plus est le trio de canard. angelinesrestaurantinn.com.

The Bloomfield Carriage House Restaurant. Bonne table comprenant de la charcuterie à la française et le meilleur pain du County. On peut apporter son propre vin: www.bloomfieldcarriagehouse.com.


Dormir: Le Merril Inn, une demeure historique élégante de Picton qui se distingue par ses pignons et son ornement architectural en dentelle de bois: www.merrillinn.com.


Se baigner: parc provincial des Sandbanks. Coût: 16 $ par voiture. Dans la baie de Wellington, à proximité de huit vignobles. Et c'est gratuit!Pour préparer votre voyage dans la région: www.tastetrail.ca/, www.directionontario.ca/guidetouristique.cfm (pour commander le guide touristique en français), www.vickisveggies.com.

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