Si la jolie capitale du Jérid se visite à l’année, il y a un plus à y aller en automne : la récolte des dattes. Voilà l’occasion de saisir l’énorme travail que nécessite la culture de ce fruit avant d’arriver dans nos magasins d’alimentation. Eh oui, la fameuse Deglet Nour provient entre autres de Tozeur, une ville à l’orée du Sahara bien connue des voyagistes.
On dit « entre autres » car le réputé cultivar, natif de la région de Biskra, en Algérie, n’est pas cultivé que dans le nord-est algérien et le sud-ouest tunisien, mais aussi dans tout le bassin méditerranéen ainsi qu’en Californie, là où le climat s’apparente à celui de l’Afrique du Nord.
« Je t’explique pour la Deglet Nour algérienne et tunisienne, lance Mohamed Larbi, importateur de dattes au Canada. Avant qu’il y ait frontière, le nomade du Sahara, le Berbère, ne faisait pas la différence entre les dattes algériennes et la tunisienne. Elles avaient le même goût.
« Si on regarde la carte géographique, on voit que la région des chotts — grands lacs salés bordés d’oasis — est à califourchon sur les deux pays. Même richesse de la terre, mêmes conditions climatiques. La Deglet Nour, tunisienne ou algérienne, c’est la même datte. »
Une origine incertaine
Si l’origine du dattier reste incertaine, la plante s’épanouit à merveille dans les oasis sud-tunisiennes. Elle y aurait élu domicile au temps des Phéniciens qui pratiquaient la phoeniciculture, ou culture du dattier. Ils auraient transmis leur science à l’ensemble du bassin méditerranéen.
Phoenix dactylifera est l’appellation scientifique du dattier. Le terme « phoenix » proviendrait de « phoinix », nom du dattier chez les Grecs de l’Antiquité, qui le considéraient comme l’arbre des Phéniciens. Ce qui explique le terme « phoeniciculture ».
Quant au mot « datte », il est vraisemblablement apparu dans la langue française au XIIIe siècle. Issu du latin dactylus, qui l’a emprunté au grec dactylos (doigt) par allusion à la forme du fruit. En arabe, le nom Deglet Nour signifie « datte de lumière » ou « datte lumineuse ».
D’ailleurs, pour en vérifier la maturité, il suffit de l’exposer à la lumière. Si l’on aperçoit le noyau au travers de sa chair ambrée, c’est qu’elle est prête pour la consommation.
La ville de Tozeur est de tous les circuits touristiques offerts par les voyagistes qui proposent la Tunisie. Sauf qu’elle est surtout considérée comme une étape avant le désert. Située à 450 kilomètres au sud-ouest de Tunis, on y fait halte pour la nuit et une courte visite de sa palmeraie. La cité vit d’ailleurs au rythme de celle-ci, sa plus grande richesse économique.
Cette opulence, Tozeur la doit à l’homme de lettres et de sciences Ibn Chabbat, né ici en 1221. La principale contribution de ce savant qui fut poète, écrivain, imam et cadi : un plan ingénieux destiné au partage des eaux et à l’optimisation de l’irrigation dans les oasis du Jérid.
L’oasis de Tozeur couvre plus de 1000 hectares et compte près de 400 000 palmiers-dattiers. On y cultive la Deglet Nour, destinée principalement à l’exportation, mais aussi l’Alig, la Khouat Alig et la Kenta. Depuis des générations, l’oasis nourrit les humains qui y vivent.
Une culture étagée
« C’est simple, s’il y a une oasis, il y a de l’eau, et s’il y a de l’eau, il y a culture, explique Haman, agriculteur dans la palmeraie de Tozeur. L’oasis traditionnelle présente une culture étagée en trois strates : palmiers, arbres fruitiers et culture maraîchère. L’organisation agricole centrée sur une utilisation raisonnable de l’eau permet une production vivrière importante. »
Âgé de 55 ans, Haman grimpe pieds nus au sommet des palmiers-dattiers depuis 44 ans. Aussi bien pour la cueillette des dattes que pour la pollinisation manuelle et l’entretien annuel de cette herbe géante pouvant atteindre 30 mètres de haut.
« Le palmier-dattier n’est pas un arbre », précise Haman en montrant du doigt le tronc, qui n’est d’ailleurs pas un tronc, mais un stipe.
« La pollinisation consiste à extraire le pollen des palmiers mâles pour le poser sur les régimes des palmiers femelles. Elle se fait par introduction à l’envers des épillets mâles dans l’inflorescence femelle après éclatement des spathes. Un mâle peut fertiliser quelque 200 femelles, et même plus, d’où la prédominance des palmiers femelles dans les oasis. »
Au printemps, les premières dattes apparaissent en grappes à la base des feuilles de palmiers-dattiers. Elles sont noires ou vertes.
L’été, les fruits atteignent leur taille définitive, se colorent de jaune et prennent leur saveur sucrée.
Des sacs sont attachés autour des grappes pour les protéger de la pluie et des insectes et pour éviter que les fruits ne tombent au sol. Lors de la récolte, l’effervescence bat son plein dans la palmeraie. Les cueilleurs grimpent dans les palmiers, libèrent les régimes de dattes de leur sac de plastique, sélectionnent les hampes sur lesquelles pendent les régimes qui seront libérés de leur longue tige et suspendus à une poutre.
Commence alors un premier tri. On enlève une à une les dattes de moindre qualité pour ne garder que les meilleures. Plus le tri est sélectif à la base, plus le travail de sélection et de conditionnement à l’usine sera facile. Un dattier contient en moyenne 14 à 15 régimes de dattes.
Le palmier-dattier est une plante géante rentable, souligne Haman. « Il sert à une infinité de choses. À la production de dattes, mais aussi au jus de palmier. Ses palmes sont utilisées dans la construction des toits de maisons, dans la fabrication de balais, d’éventails, de chapeaux et de paniers. Elles servent de brise-vent pour se protéger de l’envahissement du sable. Quant au stipe solide et résistant, on en fait des portes décoratives propres à l’architecture traditionnelle de la Tunisie. »
Tozeur au rythme lent
Changement de décor en entrant dans la vieille ville de Tozeur. Ici, pas de souk tonnant et étourdissant. Le rythme lent de la médina laisse le temps de musarder sans brimades des vendeurs. Le commerce est fait de regards, de sourires, de poignées de mains, d’échanges et de complicité.
La disposition géométrique des briques en terre séchée des façades des maisons du vieux quartier Ouled-el-Hadef est remarquable. Le montage suit un dispositif favorisant la maîtrise des températures, une démarche écologique essentielle sous ces latitudes où le mercure peut atteindre 50 °C. Quant aux motifs ornementaux, ils sont inspirés des tapis et de la calligraphie.
Sur une placette nimbée de lumière d’or, à l’ombre d’arcades, le Musée des arts et traditions populaires, aménagé dans un ancien marabout, suscite la curiosité. Nous sommes accueillis par Souad, l’unique préposée qui nous présente son musée avec beaucoup de rigueur et une touche d’ironie.
Sans prétention, la maison s’organise autour de plusieurs thèmes de la vie au quotidien des gens du désert : vestiges romains, poteries, tapis, couvertures, textes anciens, masques africains, costumes, bijoux, objets usuels et portes arborant différents heurtoirs.
À l’étage, un métier à tisser rappelle la vivacité de l’artisanat du tapis « tozeur » de type « kilim », tissé à la main selon des coutumes anciennes héritées des artisanes locales.
Souad nous entretient longuement de l’origine des lieux, de la division traditionnelle des pièces et des coutumes diverses. Elle partage sa poésie, chante comme alouette, offre thé et dattes.
« La datte n’est pas que nourriture, c’est un remède, explique Mohamed, notre guide. Riche en fer, phosphore, magnésium, lutéine, zéaxanthine, potassium et fibres, elle traite l’anémie, est excellente pour le cerveau, réduit l’hypertension, améliore la vue, diminue les risques d’AVC et élimine les toxines du corps. Et c’est une solution de remplacement au poison [sucre] blanc. »
Au café culturel Hoch el-Abbes, le propriétaire Mondher el-Abbes nous parle d’histoire et de traditions culturelles et culinaires en Tunisie. Alors que nous dégustons thé à la menthe
et ghraiba à la farine de pois chiches — une pâtisserie ancestrale —, l’homme sort son oud et nous joue un air de l’oudiste et compositeur tunisien Anouar Brahem. Mondher offre des cours de musique à qui souhaite vivre Tozeur en mode slow travel.
Article publié dans le Devoir du 21 novembre 2015
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