Misant sur ses attraits « hors des sentiers battus » et la popularité du tourisme d’histoire et de généalogie, le parc naturel régional de la Martinique travaille à l’élaboration d’un circuit guidé intitulé « Sur les traces des Acadiens ». L’itinéraire débutera à Saint-Pierre et au Carbet et se terminera à Champflore — lieu où vécurent des Acadiens entre 1765 et 1774, dans la commune du Morne-Rouge.
Les habitués de l’île connaissent l’eau Chanflor, extraite de la source du mont Béni, au pied du morne Lacroix, et mise en bouteille dans le quartier Champflore, au Morne-Rouge. Mais peu sont au fait de l’histoire des Acadiens qui, à l’instar des Allemands et des Alsaciens rescapés de la colonisation de Kourou, en Guyane, y migrèrent à la suite de leur déportation massive par les Britanniques entre 1755 et 1763.
Bref instantané de cette tragique histoire. Les Acadiens passent sous domination britannique en 1713. Mais pas question pour cette colonie française de prêter allégeance à la Couronne. Ce serait soutenir la Grande-Bretagne. Qu’adviendrait-il en cas de conflit contre la France ? Surviendra alors le Grand Dérangement, période sombre qui se situe dans le contexte de la guerre de la Conquête au Canada et de la guerre de Sept Ans en Europe.
Les terres des Acadiens sont brûlées, ceux-ci sont capturés, puis mis au ban sur des bateaux surchargés. Certains parviennent à s’enfuir, d’autres sont déportés à Québec, en Louisiane et dans diverses localités françaises, dont en Martinique, dans les Antilles.
Les premières familles débarquent au Carbet en 1756, rejointes jusqu’en 1764 par d’autres groupes. En 1766, on évaluait à quelque 399 le nombre d’Acadiens sur l’île, dont la plupart s’établirent à Champflore, dans l’actuelle Morne-Rouge, érigée en commune en 1889.
Et si le soleil, les cocotiers, les plages de sable blanc et les eaux turquoise de la Martinique attirent aujourd’hui des milliers de touristes, la destination était loin d’en être une de rêve pour les exilés acadiens. Accablés par le climat chaud, les ouragans, les maladies tropicales, l’isolement… la plupart décidèrent de migrer vers d’autres terres.
Du passage de cette colonie ne restent donc que quelques traces archéologiques, notamment à Champflore, où l’an dernier a été dressée, en leur mémoire, une stèle. Un parcours pédestre de cinq kilomètres sur leurs traces et sur celles des Alsaciens et des Allemands se dessine actuellement dans la commune et devrait voir le jour d’ici 2018.
Une petite Cadie
Jadis le quartier dit des « étages de Saint-Pierre », Champflore est situé à l’orée du domaine d’Émeraude, un superbe site d’exploration et de la nature géré par le parc naturel régional de la Martinique (PNMR). C’est sur les terres de ce site de 25 hectares, à une dizaine de kilomètres de Saint-Pierre, qu’a abouti un groupe d’Acadiens en 1765.
« C’est en regardant une carte de l’île, datée de 1770, que j’ai découvert que le domaine d’Émeraude occupe une partie de l’ancienne colonie alsacienne, explique le professeur martiniquais Vincent Huyghues-Belrose, historien au PNRM. Et sur cette carte ancienne se trouvait cette surprenante mention : “Établissement des Acadiens 1765”. »
Poussé par la curiosité, et épaulé par le PNRM, l’historien passionné entame des recherches laborieuses pour retrouver la trace de ces Acadiens. Après plus de deux ans de recherches, le parc met au point, entre les murs du domaine d’Émeraude, une petite exposition qui présente au public ce que l’on sait du destin tragique de ces immigrants.
Des découvertes qui ont amené Vincent Huyghues-Belrose à rencontrer, en 2015, André-Carl Vachon, auteur des ouvrages Les déportations des Acadiens et leur arrivée au Québec : 1755-1775, et Les Acadiens déportés qui acceptèrent l’offre de Murray.
De cette rencontre naît un an plus tard Une petite Cadie en Martinique, écrit par André-Carl Vachon, et préfacé par Vincent Huyghues-Belrose. L’ouvrage bien documenté, dont le lancement a eu lieu en février dernier sur le site même où vécurent quelque 200 Acadiens, retrace l’histoire de leur odyssée jusqu’ici après le traité de Paris.
« Je suis moi-même descendant de ces Acadiens qui ont vécu en Martinique avant de migrer au Québec en 1772, explique André-Carl Vachon. J’ai écrit ce livre afin de commémorer cette page de l’histoire de la diaspora acadienne, mais aussi pour rendre hommage à mes ancêtres qui demeuraient à la Prée-Ronde de Port-Royal en Acadie. »
Peu de traces
Qui peut imaginer en traversant cette commune de quelque 5000 âmes, située dans le nord de la Martinique, à 450 m d’altitude — mieux connu comme point de départ d’une randonnée au sommet de la Pelée —, qu’une centaine d’Acadiens s’installèrent ici, en pleine forêt tropicale humide, pour tenter de refaire leur vie sous le soleil de la Martinique ?
Un soleil qui joue à la cachette sur ce sol où réside le fameux site, au coeur des massifs de la Pelée et des pitons du Carbet, dans la commune la plus fraîche, la plus haute, la plus arrosée de l’île. Il pleut ici presque cinq fois plus que sur les côtes.
Des conditions climatiques qui ont sûrement rendu la vie des premiers habitants difficile, mais aussi, à une époque moins lointaine, fait le bonheur des gens aisés qui venaient y construire leur résidence secondaire pour profiter de l’air frais de la commune.
Du moins jusqu’à l’explosion de la montagne Pelée, le 8 mai 1902, qui a rayé Saint-Pierre et ses 30 000 habitants de la carte. Et qui, trois mois plus tard, lors d’un autre soubresaut de la montagne, a tué 1500 âmes à Morne-Rouge et laissé le village en ruines.
Révolte des esclaves, ouragans, tremblements de terre, volcan… Bien des archives ont été réduites en cendres, rendant le travail de recherche laborieux pour les historiens.
Bien des questions
Qu’espéraient les administrateurs français en installant ici les Acadiens ? « Qu’ils deviennent des défricheurs, des éleveurs et des agriculteurs, raconte André-Carl Vachon. Ce qui était très peu réaliste. Les Acadiens étaient charpentiers, tailleurs d’habits, marchands, armuriers, ferblantiers, forgerons, tailleurs de pierre, navigateurs, négociants… Ils faisaient partie de la catégorie des petits-blancs, ou petite bourgeoisie. »
Ont-ils connu la solitude des mornes caféiers ou le dur travail de la coupe de la canne, le broyage et le murmure du moût dans les cuves de fermentation du rhum ? « Un seul Acadien travaille dans les sucreries : Joseph Martin est raffineur et économe. » Puis un seul est dit « laboureur de son métier », soit Louis Maillet, précise M. Vachon.
Ont-ils été témoins de la naissance en 1765 du rhum Saint-James — le seul rhum agricole vendu en tout temps à la SAQ ? À l’époque, le roi Louis XV, voulant protéger son eau de vie, en interdisait l’exportation vers la France. On a donc cherché au début à l’exporter en Nouvelle-Angleterre, d’où son nom anglais pour un meilleur marketing.
Craignaient-ils le trigonocéphale, ou fer de lance, ce serpent au venin mortel — ouf, il existe de nos jours un sérum antivenin ! — qui a tant marqué l’histoire de la colonisation de la Martinique qu’il figure sur le drapeau emblématique de l’île depuis 1766 ? Est-ce que du sang acadien coule dans les veines des Martiniquais ? « Seules des recherches généalogiques pourraient y répondre », écrit l’auteur d’Une petite Cadie en Martinique qui, dans son ouvrage, dresse une liste de quelques couples susceptibles d’avoir eu une descendance parmi les Martiniquais.
Dans leurs pas
Aucune route nationale en Martinique — sauf celle de la Trace, construite depuis Fort-de-France sur une ancienne piste des Jésuites — n’évolue dans un maelström végétal aussi superbe que la route du Morne-Rouge au départ de la ville de Saint-Pierre.
Escarpée et en lacets, elle gravit les contreforts de la montagne Pelée dans une marée de vert, à l’ombre de fougères arborescentes géantes, de bambous qui bruissent au vent, de fromagers imposants aux troncs arc-boutés et de mille plantes : philodendrons géants, barbe à papa, orchidées et autres épiphytes, balisiers, mousse, lianes torsadées…
C’est la route classique, la N2, que l’on emprunte pour passer, via Morne-Rouge, du côté caraïbe au côté atlantique ou pour aller grimper la Pelée à partir de l’Aileron.
On peut aussi suivre le chemin juste au-dessus, celui qui monte en serpentin vers la maison du Géreur — annoncée depuis la N2, une jolie demeure créole datant de 1856, et l’une des seules à avoir été épargnées lors de l’éruption de la montagne Pelée en 1902.
Située sur le site d’une ancienne distillerie, au coeur d’une plantation de bananes et de canne, cette vieille bâtisse créole pleine de charme — que l’on peut louer le temps d’une vacance — témoigne du mode de vie à Saint-Pierre, ville d’art et d’histoire, avant le séisme, à l’époque où l’on menait dans le « Petit Paris des Antilles » une vie fastueuse.
C’est cette voie rurale, qu’on imagine peu hospitalière au XVIIIe siècle, qu’auraient empruntée les Acadiens en 1765 pour rejoindre, à partir de Saint-Pierre, cette petite Cadie nommée Champflore. Elle débouche non loin du domaine d’Émeraude, un superbe point de départ pour s’initier à cette page oubliée de l’histoire de la diaspora acadienne.
N’oubliez pas de mettre dans votre valise Une petite Cadie en Martinique.
EN VRAC
Depuis juillet 2014, l’agence Les Voyages DiasporAcadieorganise des séjours touristiques sur mesure dans la diaspora acadienne. Deux voyages ont été organisés avec succès au printemps dernier sur les traces des Acadiens en Martinique, dont l’un en compagnie d’André-Carl Vachon, qui a lancé son livre Une petit Cadie en Martinique durant le voyage, de même que pour assister à l’installation d’une stèle en mémoire des Acadiens qui vécurent à Champflore, dans l’actuelle commune de Morne-Rouge.
Le voyagiste acadien propose à nouveau le voyage thématique « La Martinique des Acadiens », du 9 au 20 mars 2018. La virée d’une dizaine de jours autour de l’île comprend, entre autres, la visite de Saint-Pierre et de Fort-de-France, du Carbet, du Prêcheur, de Morne-Rouge et des Trois-Îlets (lieu de naissance de Joséphine de Beauharnais, née le 23 juin 1763), http://www.diasporacadie.com
Comments