Au sud, la ville nouvelle, au centre, la ville royale de Fès el-Jedid, et au nord, la médina ou vieille ville de Fès el-Bali. Classée dans sa totalité au Patrimoine mondial de l’humanité, cette dernière fascine. C’est que la cité médiévale, avec ses souks, ses minuscules échoppes, ses centaines d’artisans et ses nombreuses fondations pieuses, n’a rien perdu de son âme. La plus belle des aventures? S’égarer dans ses 9400 ruelles. Pour ça, il faut y séjourner un bon moment.
À peine franchies les limites de la nouvelle ville, au premier feu de circulation, un homme à motocyclette s’approche de notre voiture. « C’est votre première fois au Maroc ? Soyez les bienvenus à Fès. Mon nom est Brahim. Aujourd’hui, il y a beaucoup de circulation car le roi Mohammed VI est en visite ici. Il y a la police, l’armée, la garde royale. Vous cherchez un endroit en particulier ? Bab (porte) Aïn Azliten. Ryad Mabrouka. Je connais, suivez-moi. »
Même scénario à Rabat il y a deux jours ! Le racoleur guette sa « proie » aux abords des grandes villes. Ces faux guides repèrent vite le visiteur un tantinet perdu. Faut dire qu’avec la carte routière dépliée sur les genoux, le Lonely Planet bien en vue sur le siège et nos visages interrogateurs, difficile de passer pour autre chose que trois touristes paumés à l’entrée d’une ville où la circulation est un chouïa anarchique. Mais rien ne nous empêche de dire non.
Depuis quelques années, des brigades touristiques parcourent la médina. « Toute personne opérant comme guide non officiel encourt une peine de prison ou une forte amende », lit-on dans le Lonely Planet sur le Maroc. Mais fuir de façon systématique les rabatteurs est un peu exagéré.
« T’inquiète, c’est gratuit », poursuit Brahim. Ah oui ? Tu sauras, Brahim, que rien n’est gratuit au Maroc. Mais c’est d’accord, nous te suivons. Et, bien franchement, tant pis si ça coûte quelques dirhams, un tel service est apprécié. Puis, c’est la façon de faire marocaine à la vue des touristes. On s’y habitue. Pour une option plus reposante, surtout si on déteste le négoce, mieux vaut prendre les services d’un guide privé ou opter pour un voyage organisé en groupe.
La ville nouvelle
Ça fait plaisir de circuler sur les boulevards de la ville nouvelle bordés d’arbres et de verdure. Avenue Hussein-de-Jordanie, boulevard Mohammed-V, avenue de la Liberté et d’Hassan II, avenue des Almohades, des Saadiens… Des noms de rues qui racontent l’histoire de Fès. Et quelle histoire ! C’est à Idriss II qu’on attribue l’édification de Fès vers l’an 808.
Nous longeons d’abord l’enceinte entourant le Palais royal, aujourd’hui sous grande surveillance policière vu la visite du roi du Maroc. Puis les vieux remparts de la fameuse médina.
On aperçoit sur une colline le Borj Sud, l’un des neuf bastions édifiés par le sultan Ahmed al-Mansour au XVIe siècle. Ces constructions militaires avaient pour objectif de renforcer l’enceinte mérinide de Fès el-Jedid. La majorité de ces borjs sont orientés vers la médina. Le Borj Sud offre un beau panorama sur la cité et sur le Djebel Zalagh, qui culmine à 902 mètres.
Le regard converge vers les centaines de tombes blanches sur les collines parsemées d’oliviers qui entourent la médina. Un cimetière après l’autre. Lequel est celui de Bab Ftouh, décrit par l’écrivain fassi Tahar Ben Jelloun dans son roman La prière de l’absent ? Où est le vieil olivier où se réfugient, quand il pleut, Sindibab et Boby, les personnages principaux ?
Situé au sud de la médina, le Bab Ftouh est un lieu de promenade paisible pour qui cherche à fuir le grouillement de la médina. Tout comme le cimetière juif et la synagogue Habarim, sur la colline qui se trouve au sud-ouest du mellah (quartier juif), à Fès el-Jedid.
Dans la médina
Un circuit touristique de dix kilomètres permet aux visiteurs de découvrir les portes et les places les plus célèbres de la médina. Quatorze portes d’accès à la cité : porte du Palais Royal, Bab Sbaä (Porte du lion), Bab Sagma, qui tire son nom de la pieuse Amina Sagma enterrée là, en 1737, Bab Mahrouq (Porte du brûlé), Bab Chems (Porte du soleil), Bab Ftouh (porte de la victoire)…
«Murailles et fortifications » est l’un des six circuits thématiques créé par l’Agence pour la dédensification et la réhabilitation de la médina de Fès afin d’aider le visiteur à retrouver son chemin dans la médina et à découvrir les joyaux dissimulés derrière les murs, au fond des impasses, dans l’obscurité des arrière-boutiques.
À l’exception de ce circuit qui s’étend sur près de dix kilomètres, les autres (« Rive andalouse », « Fès Jedid », « Palais et jardins andalous », « Monuments et souks », « Artisanat ») représentent environ deux kilomètres de marche et débutent à proximité d’un stationnement. Chaque circuit est indépendant, bien qu’ils se croisent de temps en temps.
Si « Rive andalouse » propose de découvrir la partie historique la plus ancienne de la médina où se sont installées les premières communautés d’immigrés provenant de l’Espagne musulmane (IXe siècle), le « Monuments et souks » mène vers les édifices de grande valeur architecturale et artistique. Comme le complexe Nejjarine et la mosquée Qaraouiyine.
Chaque quartier possède son four à pain communal, sa mosquée, son école coranique, son hammam. Ici, le quartier des menuisiers (les nejjarine), là, des fabricants de peigne (méchatine), des épiciers (attarine), des teinturiers (chemaïyine), des dinandiers (seffarine), des babouchiers (chrablyène). Peuplée d’artisans et de commerçants, la médina a l’allure d’une cité médiévale.
Ânes, mules et bourricots
Si Fès est un beau livre d’histoire, une expérience spirituelle, c’est aussi une épreuve physique. Dans ses 9400 ruelles, dont certaines sont si étroites qu’il faut se plaquer sur les murs pour circuler, on apprend l’art difficile de se faufiler entre jeux de dames, grilleurs de brochettes, vendeurs de menthe, enfants qui galopent avec une balle de soccer, étals de dattes, ânes et mules.
« Balek ! Balek ! » Le cri familier des âniers résonne dans les ruelles pentues de la cité. « Balek ! » Place aux ânes qui apportent la matière première aux artisans. Ferrailles, balles de coton, planches de bois, bonbonnes de gaz tiennent en équilibre précaire sur le dos des bourricots.
Les transports s’y font encore de manière archaïque, à dos d’âne. Ruelles étroites, topographie rebelle et interdiction aux autos et motos de circuler, la médina n’a pas la vie facile. Même l’utilisation d’une charrette tirée par un homme est difficile dans les côtes et les impasses.
Chargés… comme des mules, les bourricots croupissent sous la charge. Maltraités, ils sont blessés et malades. Et pourtant si indispensables au paysan et au petit commerçant. Mais vu leur faible revenu, impossible d’assurer à la bête le suivi médical nécessaire. D’où l’intervention du Fondouk américain, qui, depuis 1927, fournit les soins gratuits aux animaux de travail de Fès.
« Avant, on traitait les chiens et les chats, mais maintenant, uniquement les ânes et les mules appartenant à des gens qui ne peuvent se permettre le vétérinaire local, explique la directrice de l’hôpital, Dre Gigi Kay. Nous traitons une vingtaine d’équidés par jour et une autre vingtaine qui sont hospitalisés dans nos stalles. »
L’établissement, créé il y a 86 ans par l’Américaine Amy Ben Bishop en vacances à Fès, dispose d’une salle de chirurgie, d’un laboratoire d’analyses, d’une ambulance équipée pour le transport animal, d’un entrepôt de stockage pour les aliments et d’un bloc de convalescence. Pour le propriétaire de l’âne ou de la mule dont la survie de sa famille repose sur le travail de la bête, la mort de cette dernière est catastrophique. « Le rôle du Fondouk est de redonner la santé à l’animal pour qu’il puisse continuer. Et que deviendrait la médina sans ses bourricots ? Quelque 900 ânes et mulets parcourent quotidiennement les ruelles de la cité. »
Ryad Mabrouka
Au stationnement Aïn Azliten, Brahim fait signe à un porteur. En moins de deux minutes, nos bagages sont empilés dans un chariot. Notre guide, vrai ou faux, ne réclame aucun dirham mais nous propose les services d’un guide pour le lendemain. Nous aurions pu dire non mais l’offre, faite avec subtilité, est difficile à refuser. Et une fois dans le système, tout semble logique.
Ryad Mabrouka est situé dans la médina, à deux minutes à pied du stationnement AÏn Azliten et de la rue Talaa K’bira qui mène à l’accès principal de la médina : Bab Boujloud. Difficile de deviner l’existence de ce petit palais restauré dans le plus grand respect de l’architecture du pays. Un bijou caché au fond d’une impasse, derrière une porte de bois clouté.
Labellisé La Clef verte, en référence à sa gestion environnementale, le bâtiment aux épais murs en pisé est construit autour d’un patio central ouvrant sur un magnifique jardin tout en fleurs, inspiré du jardin andalou. « D’ailleurs, le mot riad signifie jardin en arabe, explique le Lyonnais d’origine Pierre-Marie, copropriétaire avec sa femme Caroline de ce riad depuis 1999. « La légende veut que le riad soit la représentation du jardin d’Éden. Il est en réalité le jardin des maisons de Fès, conforme au jardin arabe traditionnellement organisé dans sa forme, son architecture, sa décoration et sa végétation selon des règles esthétiques immuables. Ou si peu ! »
Une fois à l’intérieur de cette maison de charme, la frénésie de la médina est loin derrière. Le patio, construit dans la pure tradition avec ses plâtres, ses zelliges et des portes de cèdre sculptées, s’ouvre sur un jardin de roses, de bougainvilliers et d’orangers. Une petite piscine invite à la baignade. Une jolie terrasse sur le toit offre une vue sur la médina et la campagne autour.
En plus de l’hébergement et du petit-déjeuner, Ryad Mabrouka propose le repas du soir sur réservation et des services de guide si nécessaire, en plus de fournir des conseils pour le succès d’un séjour prolongé à Fès et environs et des cours de cuisine.
« J’aspire de plus en plus à la philosophie du slow travel, explique Pierre-Marie : prendre son temps et s’immerger dans le lieu à visiter. Boire un café au resto du coin, s’imprégner de la culture des gens qu’on visite, s’adapter aux aléas climatiques et acheter local, bien sûr. »
Président de la Commission des visites de l’Association des maisons d’hôtes de Fès (ARMH), Pierre-Marie travaille actuellement sur un projet de randonnées guidées de trois heures avec dîner chez l’habitant, autour de Fès et sur le mont Zalagh (la montagne qui domine la médina).
Et la raison du passage du roi Mohammed VI à Fès ? Eh bien, « pour présider la cérémonie de signature de conventions relatives à la restauration des monuments historiques et au traitement du bâti menaçant ruines dans la médina », lisait-on dans le quotidien Le Matin du 5 mars 2013. Car ce n’est pas tout d’avoir une cité dont l’histoire remonte au IXe siècle, une vieille ville au patrimoine inestimable. Depuis une cinquantaine d’années, Fès est laissée à l’abandon. Les touristes le remarquent à peine, souvent plus préoccupés de parcourir vite fait quelques-unes des milliers de ruelles de ce haut lieu du monde musulman. Des maisons menacent de s’écrouler, les médersas (universités) rendent doucement l’âme, les tanneries auraient besoin d’un second souffle… Mais la réhabilitation est amorcée.
Inch Allah !
En vrac
Se rendre. Un vol direct assure la liaison entre Montréal et Casablanca sur les ailes de Royal Air Maroc tous les jours en période estivale. L’aéroport Mohammed V offre toute une panoplie de loueurs d’autos. Europcar proposait récemment un très bon rapport qualité-prix.
Se loger. Les riads sont les demeures traditionnelles de la médina. Il en existe 200 à Fès, dont une soixantaine répertoriés. Ryad Mabroukacompte six suites et deux chambres. On y mange très bien, dans un décor digne des mille et une nuits, et les propriétaires ainsi que leur équipe (Brahim, les deux Fatima, Ghita, Khalid, Saïda et Hassania) feront tout pour rendre le séjour agréable. Ils sont une source inestimable de conseils.
Se nourrir. La cuisine fassie est renommée au Maroc et constitue l’un des plaisirs du voyage. Mezze, couscous, tajines tanjia… Les riads sont de bonnes adresses car la cuisine y est concoctée par des femmes du pays qui en connaissent les petits secrets. Le choix est grand. Par contre, pour un café aux épices, un lait chaud aux amandes ou la traditionnelle soupe fassie, la b’sara (soupe de haricots blancs à l’ail) et de délicieux gâteaux, le Café Clock est une bonne adresse. Son programme Clock Culture comporte des cours de calligraphie, des conférences et des concerts à la tombée de la nuit. La terrasse sur le toit est charmante comme tout.
Lire. Un voyage réussi à Fès demande une bonne préparation pour ne rien perdre de son séjour. La médina est complexe, les activités nombreuses, le choix des restaurants immense, les palais, médersas, parcs, fontaines et fondouks sont nombreux et souvent cachés. Je conseille l’achat du guide Maroc aux éditions Lonely Planet, la lecture du livre La prière de l’absent de l’écrivain fassi Tahar Ben Jelloun et le roman Rêves de femmes-Une enfance au harem de Fatima Mernissi, dont la trame prend place dans la médina de Fès des années 1940.
Se procurer. Sur place, le Guide des circuits touristiques de Fès publié par l’Agence pour la dédensification et la réhabilitation de la médina de Fès, auprès des propriétaires de riads, dans les hôtels, en librairie ou à l’Office de tourisme du Maroc, à Fès ou à Montréal.
Visites hors médina. Le Fondouk américain (hôpital vétérinaire). Les donations sont appréciées. Volubilis, à 70 kilomètres de Fès et 33 kilomètres de Meknès, le site archéologique d’une quarantaine d’hectares qui retrace les différentes étapes de l’histoire antique du Maroc, à partir de l’époque maurétanienne (IIIe siècle avant J.-C.).
Renseignements. Office national marocain du Tourisme, 1800, rue McGill College, Montréal. 514 842.8111
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