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  • Photo du rédacteurHélène Clément

Le GR 20, un sentier de longue randonnée qui multiplie les surprises.

La traversée de la Corse par le GR 20 est une odyssée en haute montagne un peu casse-pattes mais grandiose, sur la sublime diagonale de partage des EAUX . J'ai eu le très grand plaisir de parcourir la partie nord de cette mythique route, entre Calinzana et Vizzavona. Neuf journées de randonnées éprouvantes. Neuf journées de pur BONHEUR!

Une ombre a bougé derrière un rocher. Un mouflon ? A moins que ce ne soit mon imagination aiguisée par ma lente progression dans les éboulis, sur des sentiers étroits, le long d'un ravin, au beau milieu d'une symphonie minérale de pics et de rocs où poussent les plantes vivaces.


Quel incroyable panorama! J'ai l'impression de survoler les entrailles mystérieuses de la Corse. À mes pieds, le vallon du Landrucellu. Au loin le Capu à u Ceppu et les aiguilles du Pittinaghja. À gauche, la crête qu'emprunte le GR et qui, en courbe, rejoint la Bocca di l'Innominata, où nous casserons la croûte. Deuxième étape, douze heures de marche depuis Calinzana, 1865 m d'altitude. Le guide de montagne nous prévient que le relief ne calmera ses ardeurs qu'une fois le col de Vizzavona franchi. Dans huit jours.


Une haute route pédestre


C'est ça le GR 20 ! D'abord une grande randonnée qui fait partie du réseau de 180 000 km de sentiers balisés en France, mais aussi 200 km d'un sentier étroit , escarpé et pierreux sur l'arête faîtière de la haute montagne.

Quelque treize refuges au confort fruste, 10 000 mètres de dénivelé, des zones d'éboulis peu charitables pour les articulations, des ponts suspendus, plusieurs passages équipés de câbles pour éviter au randonneur de succomber au vertige. Une moyenne de sept heures de marche par jour. On dit que c'est l'expérience de randonnée pédestre la plus difficile d'Europe.


Depuis que l'alpiniste français Michel Fabrikant en a tracé le premier parcours, cette haute route pédestre a peu changé, paraît-il. Malgré les refuges bâtis au fil des années, malgré quelques signes de modernité apparus çà et là, le raid aurait conservé presque intact son caractère sauvage d'antan.Seul le feu a modifié les premières et dernières étapes. En effet, chaque année, 10 000 hectares de maquis et de forêt partent en fumée, constat basé sur la moyenne des 15 dernières années. Apparemment, la grande majorité des incendies sont provoqués par la pratique ancestrale de l'écobuage, ce mode de fertilisation archaïque qui, lorsqu'on brûle le maquis, favorise la repousse des pâturages. Les autres incendies sont le résultat de la spéculation immobilière, des rivalités entre chasseurs ou des pyromanes.


Du nord au sud


Nous choisissons de parcourir le tronçon nord, entre Calinzana et Vizzavona, la partie la plus spectaculaire mais aussi la plus sportive, surtout au mois de mai. En effet, d'importants névés obligent le randonneur à alourdir son sac à dos de crampons, de piolets et de corde. Il ne faut pas s'y méprendre: la Corse, que l'on associe surtout aux belles plages, est avant tout un pays montagneux. Avec une altitude moyenne de 568 m et plus de 100 sommets dune altitude de 2000 mètres ou plus, l'île mérite son qualificatif de «montagne dans la mer». Le toit de la Corse, le Monte Cintu, s'élève à 2706 m.


Le point de départ septentrional du GR 20 est à la fontaine de San 'Antone (altitude : 275m), dans le village de Calinzana (Balagne). Sur la place de l'église, un panneau en bois indique la direction du GR, balisage rouge et blanc jusqu'au terme de ses 15 étapes. Ici, on trouve l'église de Saint-Blaise, dont l'architecture baroque est bouleversante de beauté. Il est trop tôt le matin pour goûter au migliacci, de petits pains longs et plats garnis de fromage frais, ou aux fritelles, des beignets salés au broccio, fromage blanc de chèvre.


«Savez-vous comment les habitants surnomment leur village ? demande Martin le chauffeur de taxi qui nous conduit de Calvi à Calinzana. Le village que l'on ne voit pas.» Les touristes sont trop pressés d'entreprendre le GR 20 pour prêter attention aux vieilles pierres ou ils sont trop épuisés pour voir le village, s'ils ont entrepris leur randonnée en sens inverse.


Il est 6 h lorsqu'on amorce le première étape qui nous conduira au refuge d'Ortu di u Piobbu, à 1520 m d'altitude. Le soleil chauffe déjà. Une bonne raison pour partir tôt. Heureusement, l'ombre des pins maritimes nous protégera jusqu'au col de Bocca à u Saltu (1280 m) que nous devrions gagner vers 9 h.

Tiré du livre «Le Grand Chemin - toutes les étapes du GR 20 » publié par le Parc naturel régional de Corse

Au départ, le vert-gris du maquis domine, égayé à cette époque de l'année par une multitude de fleurs colorées: digitales, immortelles, bruyères, cistes, asphodèles, violettes, cyclamens, genêts. Ce matin le romarin embaume l'air. Ce sont ces senteurs caractéristiques du maquis qui faisaient dire à Napoléon, par temps de brouillard, que son navire approchait de sa Corse natale.


D'emblée la pente est raide. Une mise en jambe redoutable qui met le coeur à rude épreuve. Mais il faudra nous y habituer, puisqu'il en sera ainsi jusqu'à la fin du parcours. Marquée par un fort dénivelé et des ascensions soutenues dans les éboulis, cette première journée est souvent déterminante pour le marcheur: sac à dos trop lourd, peau brûlée par le soleil, ampoule aux pieds, genoux endoloris. Plus d'une fois j'ai été tentée de balancer mon sac à dos dans un ravin ou en bas d'une falaise. On nous avait pourtant prévenus: pas plus de 15kg! J'en ai trois de trop. Que dois-je sacrifier? Crampons, doudoune ou...broccio, coppa et canistrelli prévus pour le lunch? J'opte pour la souffrance.


Grandes images de montagne


Dans la montée, mon esprit vagabonde, retourne en arrière. L'arrivée en traversier il y a deux jours, à l'île Rousse, port de mer fondé en 1758 par le révolutionnaire nationaliste Pasqualo Paoli, celui que les Corses ont surnommé le Père de la patrie; la visite de Calvi et de sa citadelle, symbole de six siècles de domination génoise; la balade à travers le maquis sur les sentiers reliants les villages de Cateri, d'Aregno et de San Antonino; le coucher du soleil contemplé des hauteurs de Pigna, village d'artistes où les 70 habitants continuent de s'enthousiasmer pour les activités agricoles, pastorales et artisanales; le ragoût de sanglier apprêté par Gregory, le cuistot du restaurant L'île de beauté, à Calvi.


Nous arrivons crevé en fin d'après-midi au refuge d'Orto di u Piobbu, mais nous avons la tête remplie de grandes images de montagne avec en toile de fond les vallons de la Balagne, la vallée de la Fratte, le massif du Monte Grossu, la Paglia Orba et le massif du Cintu. Y logent déjà deux Belges flamands qui devraient nous accompagner tout au long du parcours si eux n'abandonnent pas en cours de route - à moins que ce soit nous qui abandonnions? parce que les statistiques le disent: un randonneur sur trois atteint l'étape finale. Les autres abandonnent en chemin pour rejoindre un fond de vallée, une fin en soi. Et un tiers capitule avant même la troisième étape.

En mai, les refuges sont sans surveillance. Cependant, en pleine saison, de la mi-juin à la fin d'août, un gardien en assure la propreté et, parfois même, prépare le repas du soir. Garant de l'hospitalité montagnarde, il joue même à l'occasion le rôle de facteur, de conseiller et de sauveteur. Durant l'été, le GR 20 est tellement fréquenté que si l'on souhaite y trouver un lit ou un emplacement pour bivouaquer, ou simplement pour goûter au privilège des premiers arrivés, soit celui de la douche (même froide), il faut se mettre en route tôt le matin. Comme nous étions hors saison, nous n'avons rencontré qu'une douzaine de randonneurs en chemin.


Un passage redoutable


Ce n'est qu'au troisième jour que nous renouerons pendant un bref moment avec la civilisation au refuge d'Ascu Stagnu, un café situé au coeur des montagnes. On commande une Pietra, bière brune locale de châtaignes, et le menu du soir, soit un potage de légumes verts, du pain, une salade niçoise, un gigot grillé, des spaghettis et des fraises fraîches. Demain, nous attaquons le gros morceau, le Cirque de la solitude, qui inspire tant de crainte.


Ce passage redoutable, dit-on, fait jaser les randonneurs dans les refuges, avant de le passer comme après l'avoir franchi. Déjà, nous avons perdu nos Belges mal équipés pour grimper le raide névé de 300 m qui persiste toujours côté nord. «Les gens ne se renseignent pas, déplore Jacky Zacarelli, responsable du service de randonnée au Parc naturel régional de la Corse (PNRC). Le GR 20, ce n'est pas de la petite randonnée. J'ai vu du monde pleurer dans le Cirque de la solitude.»


Aujourd'hui, seul le cliquetis des chaînes brise le silence qui remonte des profondeurs. Le GR 20 plonge dans le Cirque de la solitude sur près de 200 m de dénivelé. le moment est grand. Il n'y a plus d'échappatoire! Le passage tout en barres rocheuses est assez périlleux pour avoir nécessité un aménagement quasi intégral de mains courantes - elles sont parfois prises dans la glace, ce qui les rend inutilisables. le lieu est encaissé et cerné de raides parois rocheuses, monstres minéraux aux formes d'aiguilles et de menhirs gigantesques. C'est le chaos total. On se croirait à l'aube de la création du monde.


Accrochée à la chaîne, en position de rappel, la tuque enfoncée jusqu'aux oreilles, les doigts gelés, un sac à dos trop lourd, empêtrée dans mes bâtons de marche, je rencontre un Russe qui vient en sens inverse. Nous allons vers le sud, il va vers le nord. Fait-on le GR 20 du nord au sud ou du sud au nord? Certains affirment qu'il est plus logique de faire la randonnée du nord au sud, parce que le parcours va du plus difficile au plus facile. Et nous discutons ainsi, dans cette position incongrue. «Passage dantesque, il est du genre à resté graver au chapitre des exploits mémorables du brave randonneur», note-t-on dans le guide Sentier de Corse - Le grand chemin.


Ma cabane en Corse


Après neuf heures d'émotions fortes, nous parvenons au refuge de Tighjettu, situé au pied du Capu Tighjettu, au confluent des ravins de Stranciacone et de Valle di i Stagni. Nous sommes les seules à occuper cette jolie cabane en bois, style chalet suisse, pouvant accueillir 45 personnes. Après avoir mangé nourriture lyophilisée et saucisson de chèvre, nous terminons notre repas en dégustant des tartines de miel de genévrier. Ce soir le ciel est étoilé, magique. Seule une petite souris affamée à la recherche de quelques miettes rompt le silence de la nuit.


C'est un parcours sans grande aspérité ni franc dénivelé que nous empruntons le lendemain et qui nous conduit au col de Verghju. En cours de route, les bergeries d'E Radule, en activité en temps de transhumance seulement, permettent aux marcheurs de percer les secrets de fabrication du broccio. En fin d'après-midi, on assiste au retour du troupeau de chèvres qui dévalent les rochers depuis Capu à a Merula.


Jeannot Lucciani, visage rond, oeil vif et regard pétillant, est un conteur. Même les gars de la Légion étrangère du coin prennent plaisir à l'écouter. En plus des anecdotes du temps où il était moniteur de ski, il dévoile quantité de potins sur les mille et un marcheurs qui ont franchi le seuil de son gîte. Dans cette auberge située au pied des pistes d'une des seules stations de ski corses et qui servit de quartier général à l'équipe de tournage du film Les randonneurs, tout semble être resté d'une authenticité inaltérable: personnages et paysages, cochons sauvages et charcuterie maison.


Plus on s'approche de Vizzavona, plus les gîtes s'engorgent. Nous sommes 22 ce soir dans le refuge de Pietra Piena: huit Français, quatre Allemands, trois Italiens, deux Belges, un Suisse et quatre Canadiens. Une distribution assez représentative de l'étude menée par le PNRC en 2000, qui révèle que la clientèle française est largement dominante sur le GR 20 (62,8%), suivie des Allemands, des Belges et des Britanniques.


Les discussions vont bon train autour de la table et l'altitude n'a pas raison de notre curiosité. Même en pleine montagne, la question corse (culture, identité, autonomie) suscite beaucoup de passion. Et si les explications données par nos pêcheurs ne satisfont pas notre envie de comprendre, nous avons tous constaté, depuis notre arrivée sur l'île de Beauté, que ces insulaires réputés pour leur susceptibilité et leur fierté se montrent généreux et gentils.


Septième étape: la brèche de Capitello. Un autre passage qui ne vole pas l'épithète de «morceau de roi», une autre étapes aux paysages fantastiques de haute montagne. Décidément, la beauté est omniprésente sur le GR 20. Tellement qu'elle en devient presque banale.

La journée commence encore par une succession de barres rocheuses jusqu'à un lac minuscule niché au coeur d'un beau cirque glaciaire dont l'horizon court du Capu a i Sorbi à la crête de Rinella, au pied de la montée finale. Des randonneurs croisés sur le chemin nous mettent en garde contre un long et raid névé juste avant la brèche. Mais nos crampons sont prêts et nos mollets bien assouplis après une semaine de marche sportive.


Nous voilà maintenant à la crête. Pendant un court moment, les rayons du soleil matinal nous offrent le prodigieux panorama des lacs de Melo et de Capitello. Les trois prochains kilomètres, nous les effectuerons dans la neige au terme d'une superbe route aérienne qui mène jusqu'à la Bocca a Soglia. Après le passage d'un col intermédiaire, nous dominons les deux lacs de Rinoso. Plus haut, c'est le col de la Haute Route (2206 m), puis commence la descente vertigineuse jusqu'au refuge de Pietra Piena. Sans la brume qui semble s'installer pour de bon, nous aurions pu apercevoir au loin le Monte d'Oro et le Renoso.


En guise de finale, nous avons estimé plus spectaculaire de passer par les crêtes en direction du refuge de l'Onda pour poursuivre immédiatement vers Vizzavona, notre point d'arrivée. Nous avons ainsi gagné une journée, ce qui allait nous permettre de faire un saut à Corte. Donc, deux étapes en une, dix heures de marche et quelques bons dénivelés: Punta Murace (1921 m), Punta di i Pinzi Curbini (2021 m) et Punta Muratellu (2141 m). Cette dernière journée aurait dû être mémorable et nous laisser de merveilleuses images, comme les vallées boisées de Piume Grossu et de Manganellu, ainsi que le superbe panorama du Monte d'Oru et du massif du Ritondu. Elle le fut, mais pour autre chose: du pain mouillé, une boîte de sardines à partager, une pomme mangée à l'abri d'un rocher. Nous frissonnons, détrempés, sous une pluie torrentielle. La pluie cède maintenant sa place à la grêle. Le tonnerre gronde, le brouillard est partout, la situation est peu rassurante. L'important, c'est de ne pas perdre de vue les balises, ce fil d'Ariane rouge et blanc, seul lien avec la réalité, qui nous a guidés tout au long du parcours.


Un autre souvenir me vient à l'esprit. Dans la descente vers Vizzavona, il fallait faire attention de ne pas piétiner les jolies salamandres noires tachetées d'orange qui ne sortent qu'en temps de pluie. J'en ai compté 49. Je revois aussi les deux cochons sauvages, le groin dans la boue à la recherche de châtaignes, et ces deux Français qui, malgré le mauvais temps, avaient décidé d'entreprendre le GR 20 vers le nord.


Le sifflet du train qui nous conduit de Vizzavona à Bastia me sort de ma rêverie. Le conducteur alerte un troupeau de chèvres venues s'abriter du soleil à l'intérieur du tunnel. Affolées, elles sont sur les rails à courir dans tous les sens pour éviter le train.


La Corse, quel pays attachant!


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