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  • Photo du rédacteurHélène Clément

La Thaïlande des Chao Kao



Un des éléments décoratifs du temple Wat Phra Sing, situé au coeur de la cité ancienne de Chiang Mai. La construction de ce temple a débuté en 1345 sous le règne de Pa Yo.


Randonner à pied, en canot ou à dos d'éléphant dans le nord de la Thaïlande, une sorte de triathlon exotique au coeur de la jungle, à la rencontre des Chao Khao

(« gens des montagnes »). Au programme: belles rigolades, bonnes bouffes, un peu de sueur et... le privilège rare de vivre le quotidien de tribus locales, qui, en dépit de leur faible poids démographique (650 000 personnes environ, soit 1 % de la population du pays), contribuent largement au foisonnement culturel du royaume.


Chiang Mai — Changement d'époque, changement de style, la capitale de la province de Chiang Mai — fondée en 1296 par le roi Mengrai comme capitale du royaume de Lan Na, puis la porte d'entrée, dès le XVe siècle, des denrées que transportent des caravanes de Chinois venues de la province du Yunnan — accueille aujourd'hui voyageurs curieux et fringants randonneurs, débarquant presque tous par le tarmac de l'aéroport, situé à trois kilomètres de la cité fortifiée.

Deuxième ville en importance après Bangkok, bien que 10 fois moins peuplée que la capitale de la Thaïlande, la ville de Chiang Mai recense plus de 200 temples, ce qui lui a valu le surnom de Cité aux mille temples. Une bonne raison pour s'y attarder un jour ou deux.

Notre aventure commence donc par la visite du Wat Phra Sing, non pas le temple le plus ancien de Chiang Mai, la palme revenant au Wat Chiang Mien dont l'élégante façade en bois sculpté remonte au XIIIe siècle, mais le plus richement décoré avec son hall d'or paré de fresques murales du XIXe siècle. Puis par une petite virée dans la plus vieille fabrique thaïlandaise de tissage de la soie, le Shinawatra Thai Silk. Bien que la tradition siamoise de la culture du mûrier et de l'élevage du ver à soi remonte au XIIIe siècle, c'est l'architecte Jim Thompson, disparu dans la jungle malaisienne en 1967, qui redonne à la soie ses lettres de noblesse en Thaïlande. Il fonde en 1948 la Thai Silk Company. À l'époque, seule une poignée de vieux tisseurs du pays travaillent pour l'homme d'affaires. Aujourd'hui, la compagnie emploie 20 000 familles de tisserands.

La flânerie se termine par un massage thaï. Prétexte pour se faire dorloter? Pas du tout! En Thaïlande, il fait partie intégrante de l'art de vivre. Même que le massage thaï a été proposé au classement sur la liste du Patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO. Tout comme la médecine traditionnelle chinoise, d'ailleurs. C'est le dernier plaisir urbain avant notre séjour en montagne.

Pour nous accompagner, deux guides qui maîrisent aussi bien l'anglais que l'art de la gastronomie thaïlandaise. Tree, l'intellectuel qui voulait devenir moine. « Chaque garçon thaï est censé devenir moine pendant un court moment dans sa vie, entre le temps qu'il finisse l'école et le temps qu'il commence une carrière ou se marie. Il n'y a pas d'âge pour être novice, mais on ne peut devenir moine qu'à l'âge de 20 ans. On le reste trois mois en moyenne. Certains décident d'être moine toute leur vie. Comme mes parents travaillaient d'arrache-pied pour gagner leur croûte, j'ai préféré les aider plutôt que de vivre dans un Wat. » Et Sak, l'un des meilleurs kayakistes du pays qui a grandi dans le village montagnard de Bane Sopkai, sur la rivière Maetaeng.

C'est un départ

Le temps de régler les formalités avec la Police du tourisme qui s'assure de la conformité de l'agence de trekking, question de protéger les randonneurs contre une éventuelle arnaque, et c'est un départ. Le marché ouvert de Mae Malai, notre première étape, n'est qu'à 30 minutes en 4x4 au nord de Chiang Mai. Des fruits et des légumes à perte de vue: longane, mangoustan, mangue, pitaya rose, pomme cannelle, ramboutan, sapotille, aubergine, haricot ficelle, radis chinois... Insectes frits et grenouilles grillées. Chenilles. « Très bon avec le riz », affirme Tree.

On goûte, on découvre, on achète fruits et légumes pour l'expédition. Après, ce sera plus difficile, les villages de montagne étant moins bien approvisionnés. Les guides ont déjà prévu les menus pour tout le séjour.

Outre le pique-nique du midi, un 4X4 de la compagnie Changmai Adventure transporte vers les différentes étapes l'essentiel pour le repas du soir ainsi que les draps et les sacs de couchage, si nécessaire. Pour quelques baht de plus, nous optons pour une excursion de quatre jours sans autres randonneurs. Avec les guides, nous sommes cinq au total.

Une randonnée d'une trentaine de minutes dans le parc national Doi Suthep-Pui nous conduit à la spectaculaire chute Mork-Fa. Baignade. De là, on peut aussi accéder par des sentiers balisés au sommet de deux montagnes: le Doi Suthep qui culmine à 1676 mètres et la Doi Pui, à 1685. On retrouve en Thaïlande 79 parcs nationaux, 89 réserves pour animaux sauvages et 35 domaines forestiers protégés. « L'ensemble de ces parcs couvre 13 % du territoire terrestre et maritime et représente l'un des pourcentages les plus élevés au monde », explique Tree.

En route vers la province de Mae Hong Son, on découvre la signification du fameux Triangle d'or, cette région montagneuse qui se situe entre le Laos, le Myanmar et la Thaïlande et qui a été longtemps le centre de production de l'opium consommé sur la planète. Ces réalités rejaillissent encore à ce jour, parfois négativement, sur la situation et l'image des Chao Khao.

Transformer le Triangle d'or

Mais voilà, depuis la fin des années 1980, la Thaïlande a conclu des accords avec ses voisins pour désenclaver le nord et transformer le Triangle d'or en un quadrangle de croissance. « Des infrastructures aéroportuaires et routières ont été construites et des opérations militaires menées de manière à résorber les foyers insurrectionnels et les zones de non-droit. Cette politique a permis de faire reculer l'insécurité, la déforestation et la production d'opium », écrit dans Geo Voyage Bernard Formoso, professeur d'ethnologie à l'université Paris-X Nanterre. « Mais lourde de conséquences pour les montagnards confrontés aux défis environnementaux et économiques. » Un ailleurs subjuguant défile sous nos yeux.

Dans le village Lisu situé aux confins du Parc national Hua Nam Dang, point de départ du trek, la vie semble s'organiser autour d'un quotidien ancestral. On célèbre ce jour-là le Nouvel An chinois. Les femmes nous invitent à participer à leur danse autour d'un bûcher rempli de sacs de cadeaux, qu'on ira porter aux esprits plus tard.

Elles portent de longues tuniques multicolores, tandis que les hommes sont vêtus de pantalons flottants bleus ou verts. Originaires du Tibet, les Lisu vivent de la culture du riz, du maïs et de l'opium ainsi que de l'élevage du bétail. Ils vouent un culte aux ancêtres et croient aux esprits.

La randonnée commence par une montée escarpée. Sur le chemin, des hommes font griller à même le sol deux immenses cochons pour le repas du soir. Plus haut, dans la montagne, à la sortie du village, un tas de linge a été posé sur le bord du sentier. « Quelqu'un doit être très malade dans le village et on veut chasser les mauvais esprits de ses habits », explique Tree.

Les sentiers sont rarement plats, mais sans grande difficulté non plus. Entendons-nous bien, on a l'habitude des randonnées sympathiques entre amis et des joyeuses nuitées en refuge dans le parc du Mont-Tremblant, les Adirondacks et les Montagnes vertes, mais rien d'extrême. Loin de nous le trekkeur effréné. Par contre, ici, la difficulté réside avant tout dans la chaleur.

Au fil du chemin, les conversations s'engagent: sur les habitudes des ethnies locales, les Lisu d'abord, puis les Karen que nous rencontrerons en fin de journée dans le village de Baan Mae Jok, et demain dans le village de Baan Pa Khaolam. Avec ses quatre groupes distincts: les Karen blancs, les Pwo Karen, les Karen rouges et les Karen noirs, ces « gens des forêts tantôt animistes, tantôt bouddhistes ou chrétiens qui représentent la plus grande tribu de Thaïlande (322 000 habitants). « On reconnaît la femme Karen par sa tunique épaisse et colorée et son sarong rouge brique dont la teinture est préparée à partir d'une plante locale appelée kho », précise Tree.

Il y a des moments qui nous touchent. Les repas préparés par nos guides, le soir, dans les woks, à la lueur de la bougie avec l'aide de la femme, de la soeur, de la fille ou de la belle-fille du chef du village: soupe au poulet et lait de coco, brochettes de porc, d'ananas, de tomates, de poivrons et d'oignons, crevettes au gingembre, sauté de légumes à l'ail et tisane à la citronnelle. On repense à la marche dans les rizières asséchées et au repos le midi dans les huttes de bambous sur pilotis. Au bambou farci de riz collant rouge et grillé sur feu de bois par Ya et son mari New Siam, dans le village de Pa Khaolam. À date, en Thaïlande, nous n'avions mangé que du riz collant sous forme de dessert, cuit dans du lait de coco et servi avec de la mangue fraîche. Aux petits-déjeuners copieux préparés par Sak et sa montagne de rôties; aux poules et aux poussins qui, le jour, se promènent librement et le soir sont rangés par famille dans un petit panier de paille. Au vieil homme qui fabriquait des paniers dans le minuscule hameau de Pâ Klaue.

Brume du matin dans le village de Karen de Mae Jok. Les villageois vaquent à leurs occupations. Une femme s'affaire à trier le riz, une autre tisse la soie, un homme travaille le bois, les enfants rigolent, une vieille dame fume sa pipe. Nos guides s'accordent de petites causettes avec les villageois dont le regard oscille entre amusement et surprise. Sur les portes, les poteaux, les clôtures, partout, des portraits du monarque Bhuminol Adulyadej. « Vénéré et craint à la fois, Bhuminol Adulyadej, neuvième de la dynastie de Chakri des Rama, est l'âme de son peuple. »

Puis l'excursion se termine par la descente de la rivière Maetaeng en canot pneumatique. Et par une promenade de deux heures à dos d'éléphant. On accède donc à la ferme d'éléphant Pang Paka par la rivière, en pleine jungle. Nous avons le plaisir d'assister au bain de Bsonsoe, un éléphant de 41 ans, et de continuer un petit bout de chemin sur son dos, guidés par Sawang, son maître depuis toujours. Le déboisement étant freiné en Thaïlande, l'éléphant et son cornac n'ont plus de travail en agriculture. Ils se consacrent alors aux touristes curieux de mieux les connaître.

Bane Sopkai, terminus. En route vers Chiang Mai, un dernier arrêt dans le village de Hauypong, habité par les Akha. Ces derniers figurent parmi les ethnies les plus pauvres et s'efforcent de résister à l'assimilation culturelle. Les petites huttes de bambou sont équipées de toits en foin. « Ici, on mange du chien », affirme Tree. Il y a des moments qui nous touchent...

En vrac

On se rend en Thaïlande sous les ailes d'Air Canada jusqu'à Hong Kong, via Toronto. À Hong Kong, on emprunte la compagnie Thaï, via Bangkok, jusqu'à Chiang Mai. C'est une solution.

Pour un trek réussi, contacter Chiangmai Adventure: www.chiangmaiadventure.co.th.

Le coût d'une excursion dans les montagnes du nord est d'environ 75 $ par jour par personne (nuitée et trois repas quotidiens compris). Nous étions trois, accompagnés par deux guides.

La meilleure période pour partir en randonnée se situe entre novembre et février, quand le temps est frais, les pluies quasi inexistantes et les pavots en fleur. De mars à mai, les montagnes sont arides et le temps, très chaud. Le début de la saison des pluies, entre juin et juillet, présente l'avantage de la fraîcheur avant que les sentiers ne soient trop détrempés par les pluies.

À ne pas manquer: la visite de Chiang Mai, de ses temples, de ses marchés et de son bazar de nuit. La province forestière de Mae Hong Son, domaine du trekking comme du rafting. La province rurale de Nan, avec ses vallées fluviales fertiles, peuplées de communautés thaï lû.

La manufacture (et magasin) Shinawatra Thai Silk, à Chiang Mai: www.shinawatrathaisilk.

L'unité monétaire est le baht et le taux de change est d'environ 29,71 B pour 1$ CAN.

La famille royale, la religion et la nation sont profondément vénérées dans le pays. Leur manquer de respect est passible de sanctions. La visite des édifices religieux suppose de se déchausser et d'être correctement vêtu. Et le sourire est encore le meilleur moyen de communiquer.

À lire: Thaïlande, aux éditions Lonely Planet.


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