Le 20 avril dernier, je recevais par courriel une invitation de l’agence de voyage Uniktour à monter à bord du Transsibérien Express, de Pékin à Moscou. Un voyage du feu de Dieu de 15 jours et 14 nuits à travers le désert de Gobi, l’Oural et la Sibérie. Un vieux rêve allait se réaliser.
Article publié dans le quotidien Le Devoir du 25 juillet 2016
Le genre de voyage qui fait au reste fantasmer bien des gens. À commencer par les tsars russes qui, dès 1891, souhaitèrent relier d’est en ouest les confins de leur empire démesuré. C’est à ce moment d’ailleurs que débuta le plus long trajet terrestre du monde : 9289 kilomètres et 990 gares, entre Moscou et Vladivostok. Une odyssée de sept jours entre sept fuseaux horaires.
Mais ce que proposait Uniktour était un peu différent. Le voyage qui débutait à Pékin à bord du Transmongolien allait nous conduire jusqu’à Oulan-Oude, en République de Bouriatie. De là, changement de train pour le Transsibérien vers Moscou. Nous traverserions quatre fuseaux horaires et escamoterions les trois jours de taïga profonde, entre Oulan-Oude et Vladivostok.
Oui, un vieux rêve allait se réaliser. La Russie est pour moi une histoire d’amour et de fascination depuis l’adolescence. Est-ce à cause du docteur Jivago ? De l’intrépide Michel Strogoff de Jules Verne ? Ou de la rencontre au secondaire avec mon futur polonais de mari ?
La Pologne fut d’ailleurs mon premier voyage en Europe. J’avais 19 ans. Le coup de coeur fut immédiat. C’était décidé, au retour, j’apprendrais le polonais. Mais pour étudier le polonais à l’université, il fallait d’abord passer par le russe. J’ai opté pour un bac en russe et langues slaves.
Pendant trois ans, j’ai donc baigné au coeur de l’histoire tourmentée de ce pays grand comme un continent, bornoyé de steppes et de montagnes et sillonné de fleuves mythiques comme la Volga, le plus long d’Europe — 3690 kilomètres, et le plus sacré de la Russie.
Et là, on m’offrait sur un plateau d’argent un voyage à bord du Transsibérien. Je me promis de réviser ma grammaire russe et de relire quelques géants de la littérature : Pouchkine, Tchekhov, Dostoïevski, Tolstoï, Gorki, Soljenitsyne, Nabokov, Chalamov, Bounine…
« Il ne faut jamais oublier le devoir de mémoire envers les millions de victimes de l’autocratie impériale et du Goulag soviétique », écrit Dominique Fernandez dans Transsibérien.
Mais tout comme cet écrivain, j’allais bien entendu constater au cours de cette croisière ferroviaire que la Sibérie n’est pas que terre glacée ensevelie sous la neige et peuplée uniquement de déportés. « Dans sa partie méridionale, elle est aussi riche en productions naturelles que le sont les régions du sud du Canada, auxquelles elles ressemblent beaucoup au point de vue physique. »
Je verrais la ville de Kazan prise d’assaut en 1552 par Ivan le Terrible, puis celle d’Ekaterinbourg avec ses immeubles colorés et sa jolie cathédrale. C’est dans cette ville jadis peuplée d’ouvriers hostiles au trône et connue pour son radicalisme que Nicolas II et sa famille furent exécutés. Je verrais aussi Irkoutsk, « terme du voyage de Michel Strogoff et capitale de la déportation sous les tsars comme sous les communistes », évoque Dominique Fernandez.
Petite anecdote, c’est non loin d’Irkoutsk, dans un wagon de troisième classe du train Transsibérien, le 17 mars 1938, qu’est né le danseur russe Rudolf Noureev. Il a grandi à Kazan.
Génial ! Il était prévu de se baigner dans le fameux lac Baïkal dont les paysages proches sont si bien décrits par Sylvain Tesson dans Dans les forêts de Sibérie. L’écrivain français y raconte ses six mois de vie dans une isba de bois sur les rives du plus grand bassin d’eau douce au monde : six cents kilomètres de long, quatre-vingts de large, mille six cent trente-sept mètres de profondeur, deux mille cent kilomètres de côtes, trente-deux mille kilomètres carrés, vingt-trois milliards de mètres cubes d’eau. Une mer intérieure qui se fait patinoire géante l’hiver.
Et puis, je verrais enfin Moscou, la place Rouge, le Kremlin…
Mais voilà ! J’ai rêvé de cette odyssée à bord du Transsibérien Expresspendant vingt-quatre heures, mais la réalité est que j’ai dû refuser l’invitation. Entre les voyages de presse déjà prévus et celui-ci, il était clair que le temps manquerait pour faire la demande des deux visas.
Un choix difficile, lot des journalistes pigistes. Car dans ce métier captivant, c’est souvent tout ou rien. Et là, c’était une période du « tout » et ce voyage reste « non expérimenté ».
Mais depuis ce fameux 20 avril, je lis sur le sujet. Et je rêve. Je conseille d’ailleurs la lecture des livres Dans les forêts de Sibérie et Transsibérien à quiconque montera à bord du Transsibérien. Quant au petit groupe d’Uniktour, ils en sont revenus la tête pleine de souvenirs. Et si Charlotte, spécialiste-pays chez Uniktour, a versé quelques larmes à la vue de la place Rouge à Moscou, moi, j’en ai versé un plein seau pour avoir manqué ce fabuleux voyage. Partie remise !
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