Mélange de cayes et d'îlots inhabités, d'îles volcaniques au mode de vie british, de milliers de petites baies à l'eau turquoise idéales pour le mouillage, les îles Vierges britanniques semblent avoir été façonnées par la main de Dieu lui-même à l'époque où il ne créait que des paradis terrestres. Véritable terrain de jeux pour le navigateur et éden pour le plongeur, c'est en approchant des BVI (British Virgin Islands) en voilier, au rythme des alizés, que le voyageur en découvre la beauté et le sens. Un grand nombre de Nature's Little Secrets bien gardés, comme l'indique le slogan sur les plaques des voitures là-bas.
Tortola — Arrivée sans fanfare, début de voyage calme. À l'aéroport international de Beef Island, pas de kitsch, pas de musique, pas de colliers de fleurs autour du cou ni de harcèlement de quiconque pour nous emmener à nos lieux d'hébergement respectifs, qui n'auront rien du tout-compris aux airs de Club Med. Que des douaniers gentils au sourire aussi large que le canal de Sir Francis Drake sur lequel nous naviguerons en voilier pendant une semaine.
Le chauffeur de taxi envoyé par la petite entreprise québécoise Vacances sous voiles nous accueille, pancarte à la main. «Are you from Montreal?», demande-t-il dans un anglais cassé. I beg your pardon? Hum... Pas facile à comprendre! Il est vrai qu'ici, sur ce territoire d'outre-mer du Royaume-Uni situé à l'est des Antilles, on ne parle pas le créole mais le broken english.
Surprise. Le volant et la conduite des voiture sont à gauche. Bizarre comme effet... À quelques kilomètres de l'aéroport, nous traversons un pont, puis c'est Tortola. L'île centrale des BVI loge la capitale, Road Town, ainsi que les trois quarts de la population totale du pays, qui atteint 20 000 habitants. Les îles Vierges britanniques comptent 60 îles dont 16 habitées.
Douze heures se sont écoulées depuis notre départ de Montréal. Inutile de dire que le wrap au poulet et à la mayo, acheté à bord de l'avion, est déjà bien loin. Ça nous apprendra à ne pas avoir prévu de lunch, sachant pertinemment que la compagnie American Airlines n'offre même pas de cacahuètes pour accompagner le jus de tomate!
Et comment se fait-il que le restaurant de l'hôtel Nanny Cay, situé à la marina où nous embarquerons demain à bord du Bleu Turquoise, soit déjà fermé? Pourtant, il n'est que 22h. Devant nos mines basses, le chauffeur de taxi nous propose un snack aux couleurs locales, à une demi-heure de voiture de l'hôtel. Et voilà pour l'initiation aux BVI: un hôte adorable à l'image des habitants des îles, du poulet épicé goûteux, des frites, quelques tomates et une bonne Guinness.
Sainte Ursule et les onze mille vierges est la légende préférée de Keith, le chauffeur de taxi chargé de nous faire découvrir Tortola avant notre départ en voilier. Il raconte qu'au début du IVe siècle, une jeune fille nommée Ursule, fille d'un roi chrétien breton, aurait été demandée en mariage par un prince païen d'origine germanique. Ursule voulait demeurer vierge et chrétienne.
Comme un refus pouvait attirer de graves ennuis à son père, la jeune fille et 11 de ses amies vierges décident de s'enfuir. Embarquées à bord d'un navire sur le Rhin, elles sont capturées à Cologne par les Huns, un peuple nomade venu d'Asie centrale, puis martyrisées et mises à mort pour avoir refusé de trahir leur foi.
C'est au début du XIe siècle que le nombre de vierges qui accompagnaient Ursule est fixé à 11 000 par une mauvaise interprétation de la numération romaine. L'inscription «XI martyres et vierges» aurait été interprétée comme «XI mille vierges». Comme l'anniversaire de la mort d'Ursule et de ses amies a été fixé au 21 octobre par le calendrier grégorien et que Christophe Colomb a découvert les BVI un 21 octobre 1493, il avait décidé de baptiser ces îles des Antilles les Îles vierges en hommage à la jeune fille et aux 11 000 vierges martyrisées avec elle.
Comme pour toute île montagneuse dans l'océan, impossible d'échapper aux routes escarpées de Tortola. Heureusement, car on se priverait d'une palette de points de vue à couper le souffle sur la mer et les baies. On dit que les plus beaux se trouvent au pinacle du Mount Sage National Park, le plus haut sommet du pays, à 543 mètres. À la fois centre gouvernemental et commercial des BVI, la plus grande des îles mesure 22 kilomètres de long par trois de large. Elle abrite la capitale Road Town, deux fois centenaire, charmante avec ses maisons de bois et de pierres mais chaotique à l'heure de pointe, surtout à l'arrivée d'un bateau de croisière.
Si la baie de Brewers, dans la région de Cane Garden Bay, fait le bonheur des plongeurs et la plage de Cane Garden celui des baigneurs, les belles vagues et la houle, à Apple Bay, attirent quant à elle les surfers. Va aussi pour une visite de la rhumerie artisanale Callwood Distillery et une pause chez Sammy's Ital Place, à Carrot Bay, où Rose, une Australienne mariée à un rasta vous concoctera un bon jus de goyave, de corossol, de mangue ou de coco.
Ça y est, on prend la mer, laissant derrière nous le confort de Nanny Cay Marina. Le vent est bon. On hisse la grande voile et le foc. Bien que l'itinéraire se décide au jour le jour, en fonction des humeurs de chacun et des aléas météorologiques, nous côtoierons de près ou de loin Norman Island, Peter Island, Salt Island, Virgin Gorda Island et Jost Van Dyck Island.
Chaque île a sa petite histoire. La Norman aurait été un repaire de pirates, comme toute la région d'ailleurs. Il pourrait s'agir de l'île où se cache le trésor dont il est question dans le roman de Robert Louis Stevenson, Treasure Island (L'Île aux trésors). En tout cas, nous n'avons pas trouvé d'or ni rencontré de pirates, mais The Caves est idyllique pour la plongée en apnée.
Peter Island correspond à l'idée qu'on se fait d'une île déserte. Elle compte un seul hôtel et un spa de luxe intégrés à la nature sans se donner de grands airs. On y accède du mouillage à la nage. Salt Island, qui compte neuf habitants, a ses histoires de taxes payées avec des sacs de sel. D'ailleurs, les bassins y fonctionnent toujours, comme il y a 200 ans. Quant à Jost Van Dyke, en plus d'être charmante, l'île est le berceau du fameux Painkiller, un genre de punch à base de rhum-pays que le capitaine du Bleu Turquoise prépare merveilleusement bien.
Un bateau, un capitaine, une hôtesse
L'entreprise québécoise Vacances Sous Voiles organise depuis quatre ans des croisières en voilier dans les BVI, avec ou sans équipage. C'est à bord du Bleu Turquoise, un joli Bénéteau 50, que notre petit groupe de six personnes vivra sa première expérience dans la mer des Antilles.
«Environ 90 % de nos clients n'ont jamais fait de voile, affirme Michel Guerra. Le canal de Sir Francis Drake dans les BVI est ce qu'il y a de plus sécuritaire pour commencer. La disposition des îles brise la houle, on navigue toujours à vue, on est protégé du vent, les mouillages sont sûrs. Il n'y a ni bourrasque ni turbulence. Et la moyenne des vents tourne autour de 15 noeuds.»
Les habitués du canal de Sir Francis Drake apprécient aussi ses ancrages nombreux et peu éloignés les uns des autres. On peut donc décider d'un itinéraire court ou plus long, au choix, et trouver à tout moment un mouillage pour un arrêt-baignade ou une plongée en apnée.
Avant de prendre la mer, on se familiarise avec les installations, on range tout ce qui traîne dans les chambres et sur le pont pour que rien ne se brise si l'on gîte. Puis le capitaine nous indique les endroits ouù l'on peut se placer sur le bateau sans risquer de recevoir la bôme sur la tête. Et advenant qu'un matelot en herbe passe par-dessus bord, le premier qui voit la personne à l'eau doit garder l'oeil dessus jusqu'à ce que le naufragé soit en possession d'une bouée.
Michèle Riva et Michel Guerra ne forment pas qu'un couple sur le bateau, ils le sont aussi dans la vie. Les deux passionnés de voile naviguent depuis plus de dix ans dans les Îles Vierges britanniques. Michel est le capitaine, tandis que Michèle joue le rôle d'hôtesse et de chef cuisinière. Cependant, lors de manoeuvres délicates, surtout au moment de jeter l'ancre, elle devient son bras droit sur le pont, et vice-versa; lors de la préparation des repas, s'il n'est pas à la barre ou en train d'enseigner à ses passagers à manier le gréement, Michel donne un coup de main dans la cuisine.
Les joyeux naufragés
Que peut-il arriver de plus désastreux à un capitaine de bateau de croisière qu'une transmission brisée? D'accord, un accident! Mais admettons tout de même qu'un bris mécanique, c'est irritant. Et peut-être encore plus dans ces Antilles où le rythme est «autre».
Mais la joyeuse bande de six que nous formons ne se laissera pas abattre pour si peu. Nous mouillerons à Tatch Bay et non à Virgin Gorda Island comme prévu. Le hic: cette baie achalandée est à proximité de l'aéroport: loin d'être idéal pour la baignade et le farniente.
Le capitaine nous suggère de prendre le traversier pour Virgin Gorda Island ou Orlando, le chauffeur de taxi associé à Vacances Sous Voiles nous accueillera pour une tournée de l'île. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous voilà sur la navette, en route vers l'île en forme de serpent d'une longueur de 13 kilomètres, dominée au nord par le Virgin Gorda Peak qui atteint 414 mètres.
Après avoir exploré le site The Baths, un paysage d'immenses roches formant une série de grottes flanquées en bord de mer turquoise, l'un des dix plus beaux sites de plongée des BVI, puis visité les vestiges de Copper Mine National Park, une mine de cuivre qui a fait vivre l'île entre1838 et 1867, et enfin après avoir photographié les huit églises de l'île, il faut décider si l'on passe la nuit ici ou si l'on retourne sur le bateau, au risque d'égrener la soirée dans une marina bruyante.
C'est décidé, on dort ici! Au Little Dix Bay, Rosewood Hotels & Resort. Une folie, bien sûr. Et après? La vie est courte. Mais ce cinq-étoiles conçu par Laurance S. Rockefeller au début des années 1950 nous acceptera-t-il ainsi vêtus d'un simple maillot de bain et d'un short? Après tout, nous sommes des naufragés. Mais de joyeux naufragés qui ont eu la brillante idée d'apporter leur carte Visa. Qui dit mieux dans un pays fréquenté en majorité par des touristes américains?
Peu importe la destination, un voyage en voilier est avant tout une expérience humaine. On doit composer avec des inconnus dans un espace réduit en perpétuel mouvement, prendre des décisions de groupe éclairées, endosser les imprévus inhérents à la météo, accepter de se réveiller à une autre adresse le lendemain matin à cause d'un grain subit durant la nuit... Mais tout ça s'apprivoise très bien pour déboucher sur une belle aventure qui nous enseigne à lâcher prise.
En vrac
-American Airlines assure des liaisons entre Montréal et l'aéroport international de Beef Island, via New York ou Miami et Porto Rico. www.aa.com.
-Vacances Sous Voiles: l'entreprise québécoise établie dans les Îles Vierges britanniques se spécialise dans la location de voiliers avec ou sans équipage. Pour réserver, contacter Michèle Riva: à Montréal, 514 999-9142; aux Îles Vierges britanniques, 284 499-1711. www.vacancessousvoiles.ca.
-Renseignements sur les Îles Vierges britanniques: www.bvitourism.com.
-La monnaie aux Îles Vierges britanniques est le dollar américain.
-À propos de Jost Van Dyke Island... La rue principale, c'est la plage. On y retrouve plusieurs petits restaurants amusants et très colorés ainsi que des boutiques de souvenirs. Une fois le bateau ancré, on rejoint la plage de sable blanc à la nage ou en annexe. C'est sûrement la plus grosse décision qu'on a à prendre dans la journée. Tout dépend si l'on veut acheter des breloques ou s'offrir un Painkiller au Soggy Dollar Bar, qui tient son nom des clients qui venaient sur l'île à la nage et qui arrivaient avec des billets mouillés. Pour protéger sa fortune, mieux vaut prendre l'annexe, sinon à l'eau... On peut manger au Soggy Dollar Bar un délicieux potage de coque, du poulet Jerk et des sandsichs au poisson volant, grande spécialité de la place. Le Painkiller est un planter à base de rhum Pusser's (produit aux BVI), de jus d'ananas, de jus d'orange, de crème de coconut, saupoudré de muscade. Pas mal à l'heure de l'apéro.
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