Quelque 1700 îles composent l’archipel des Keys en Floride. Certaines d’entre elles sont de fabuleux sanctuaires de la vie sauvage où cohabitent aigles et faucons, alligators et tortues, iguanes, lapins, papillons, cerfs à queue blanche… Mais que deviennent ces animaux lorsque frappe un ouragan aussi démesuré qu’Irma ?
Presque chaque année en Floride — et dans la Caraïbe —, entre juin et novembre, avec un pic en septembre, les ouragans provoquent d’énormes dégâts. Sous leurs jolis prénoms se cachent de vrais monstres. Les plus puissants ont des effets dramatiques. Comme Irma. Ils brisent tout sur leur passage, ne laissant que désolation.
Ces tempêtes ont des répercussions immédiates. Dans l’eau, la houle déracine les herbiers et fracture les coraux. Sur terre, la montée des eaux fragilise la végétation, surtout à proximité des plages, et la faune paie souvent un lourd tribut pendant comme après, surtout si certaines espèces font face à un manque de nourriture et d’eau fraîche.
S’il n’existe aucun moyen d’étouffer dans l’oeuf ces colosses de la nature, les spécialistes peuvent suivre leur progression, puis alerter les populations pour qu’elles s’y préparent et, si besoin, évacuent les lieux. Mais les animaux sauvages n’ont pas ce luxe.
On pense, entre autres, au cerf des Keys à queue blanche, une espèce menacée qui ne vit que dans une partie de cet archipel tropical de quelque 250 kilomètres, bordée d’un côté par l’océan Atlantique et de l’autre par la baie de Floride et le golfe du Mexique.
« Nous savions que les Keys seraient dans l’oeil d’Irma, nous avons eu peur pour eux, reconnaît Joe, instructeur de plongée au Florida Keys Aquarium Encounters, à Marathon. Ces plus petits cerfs à queue blanche d’Amérique du Nord sont de bons nageurs, mais de là à affronter des vents de 225 km/heure, c’est une autre histoire. »
Alors, comment ces cervidés des Keys, de la taille d’un grand chien, affrontent-ils depuis quelque 13 000 ans ces tempêtes démesurées qui brisent les arbres comme des cure-dents, font tournoyer des milliers de débris comme des feuilles mortes et inondent d’eau de mer leurs habitats terrestres, les privant de l’eau douce dont ils s’abreuvent ?
« Ils n’ont pas de modèle unique pour affronter un ouragan », explique dans le magazine en ligne National Geographic Dan Clark, directeur de quatre refuges d’animaux sauvages dans les Keys, dont le National Key Deer Wildlife Refuge, à Big Pine Key.
« Certains se cacheront derrière un garage ou se mettront à l’abri dans des buissons, d’autres fileront sur les routes. Certains auront de la chance, d’autres pas. » Selon une étude réalisée un mois après Irmapar le U.S. Fish and Wildlife Service et l’Université A&M du Texas, de 14 et 22 % des 1000 cerfs du refuge de Big Pine ont été tués, écrasés par des débris ou empalés par des objets soufflés par le vent.
D’amour et d’eau fraîche
Durant les jours qui ont suivi le cyclone, pompiers, policiers et responsables de refuges d’animaux sauvages dans les Keys ont installé, dans des endroits stratégiques entre Sugarloaf Key et No Name Key, des piscines d’enfants remplies d’eau fraîche — les marais et cavités calcaires de ces refuges naturels ayant été inondés d’eau de mer — pour que cerfs, papillons et lapins des Lower Keys, une espèce protégée, étanchent leur soif.
Le lendemain de l’ouragan, l’Hôpital des tortues de Marathon — agréable à visiter en famille — a accueilli un bébé tortue caouanne trouvé par un bon samaritain sur l’Overseas Highway. Surnommé Irma, le petit caret sera bichonné dans cet hôpital de recherche qui abrite et soigne les tortues de mer et de terre jusqu’à sa remise en liberté.
Si plusieurs nids de tortues sur les plages de Floride ont été littéralement lessivés par Irma, les tortues de l’hôpital de Marathon ont toutes survécu à la fureur de la tempête.
De même que les dauphins du Dolphin Research Center de Marathon, un centre de recherche et d’éducation voué à la réadaptation des dauphins et autres animaux marins malades ou blessés. Pour l’anecdote, c’est ici que fut tourné le film original racontant les aventures du dauphin Flipper dans les années 1950.
On retrouve, dans les Keys en Floride, une quarantaine d’espèces d’animaux protégées par l’État ; une vingtaine d’entre elles, menacées de disparaître, sont uniques au monde. Comme le lapin des marais et la tortue de boue rayée des Lower Keys, le petit cerf à queue blanche, la souris de coton de Key Largo, la couleuvre américaine à collier…
Parmi les animaux adorés dans ces îles, les chats à six doigts d’Hemingway, à Key West, arrivent certainement en première place. Bien qu’ils ne soient pas sauvages, ils sont libres de leurs mouvements. Quel soulagement d’apprendre qu’ils ont tous survécu !
« Dix employés du musée de la rue Whitehead sont restés sur place malgré les ordres d’évacuation et les appels pressants de la petite-fille de l’illustre auteur du Viel homme et la mer », raconte Steve Trogner, guide à la maison d’Ernest Hemingway.
« Pas question pour les responsables de la maison-musée de quitter les lieux en laissant derrière les fameux félins, habitués à leur voix et leurs soins. Ils ont renforcé les fenêtres, rassemblé les chats à l’intérieur et passé la nuit de la tempête ensemble. »
Sains et saufs
Tous s’en sont sortis sains et saufs. Des arbres cassés sur le terrain, mais pas de dommages à la maison. Les 54 descendants — dont la moitié ont six doigts — de Blanche-Neige, le chat blanc offert par un capitaine de bateau à Ernest Hemingway, sont retournés dans le jardin et continuent de faire la joie des milliers de touristes qui visitent les lieux.
Quant aux coqs qui déambulent librement dans les rues de cette jolie ville décontractée, plus caraïbe que floridienne, quelques bons samaritains ont aidé à leur sauvetage en les enroulant dans du papier à burritos avant de les placer en rang d’oignons sur des banquettes de voitures. Une photo a été largement distribuée sur les réseaux sociaux.
Les Florida Keys débutent à 24 km au sud de Miami et s’étendent jusqu’à Key West, 250 km plus loin. Pour atteindre cette dernière depuis Key Largo, nous empruntons l’Overseas Highway, un tronçon de la route fédérale US 1 qui commence à Key West pour se terminer à Fort Kent, dans le Maine, à la frontière canadienne.
La voie routière de 141 kilomètres, bâtie sur pilotis, traverse une quarantaine d’îles reliées entre elles par 43 ponts. La partie la plus étonnante de la route est sans conteste le Seven Mile Bridge. Long de 11 kilomètres et surélevé dans sa partie centrale pour permettre le passage des bateaux, c’est un chef-d’oeuvre de génie civil.
C’est à l’homme d’affaires américain Henry Flagler que revient l’idée d’un chemin de fer entre Key West et Miami. Après sept ans de travail dans des conditions précaires, l’Overseas Railroad est inauguré en 1912, puis détruit par l’ouragan Labor Day en 1935. Trop coûteux à reconstruire, il est remplacé en 1938 par l’Overseas Highway.
Tout de suite après le passage d’Irma, en septembre dernier, cette saisissante route qui se déroule à l’infini dans la mer, entre tous les bleus possibles de la Création, a été entièrement inspectée et déclarée praticable sur la totalité des 250 km de l’archipel.
Le mois dernier, la vie battait son plein le long de l’Overseas Highway. Les Conches célébraient le Festival des fruits de mer, à Islamorada, bien qu’on puisse encore rendre compte des dégâts d’Irma : maisons démolies, arbres et cactus cassés, bateaux échoués… la vie a repris son cours partout. Et le trafic du dimanche aussi.
Du coup, il faut bien compter quatre ou cinq heures pour se rendre à Key West. Et au moins une semaine pour visiter en chemin les mille et un aquariums, sanctuaires marins, refuges pour animaux sauvages et la dizaine de parcs d’État des Florida Keys.
CARNET D’ADRESSES
Quelques bonnes adresses pour s’informer sur la faune et la flore marine et terrestre des Florida Keys. Chaque site offre un aperçu de l’après-Irma.
Key Largo dans les Upper Keys
Marathon dans les Middle Keys
Big Pine Key et Bahia Honda dans les Lower Keys
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