Une journée permet de contempler les temples de grand renom de la cité khmère d'Angkor, comme Angkor Vat, Angkor Thom et Ta Prohm; trois jours, de les découvrir à fond. Une semaine, toutefois, offre le plaisir de s'engouffrer plus en profondeur dans la jungle et d'explorer des lieux moins fréquentés, parfois plus humbles. Le site archéologique le plus vaste au monde abrite des centaines de temples et de vestiges ornés de visages, de bêtes et de corps. À pied, en tuk-tuk, en moto, à dos d'éléphant, en montgolfière, tous les moyens sont bons pour l'arpenter. Nous avons choisi le vélo, comme il est d'usage au Cambodge.
Siem Reap — De Phnom Penh, il faut compter six heures en bateau jusqu'au débarcadère de Phnom Krong sur le lac Tonlé Sap. La route sur l'eau, de la capitale, permet d'observer la vie des Cambodgiens tout au long du Tonlé Sap, un affluent du Mékong qui, avec le Bassac, prend sa source dans Phnom Penh, face au Palais royal, au confluent des «Quatre Bras». À l'arrivée, on emprunte un tuk-tuk, direction Siem Reap, porte d'entrée de la fameuse cité khmère d'Angkor (802 à 1432).
«Ne pas confondre Khmer et khmer rouge», explique Ladavann Pen, auteure du livre Ladavann, une orchidée sauvage: journal d'une jeune fille handicapée sous les khmers rouges», lors d'une entrevue à l'émission Faites comme chez vous sur Europe 1. «Les Cambodgiens sont des Khmers, alors que les khmers rouges sont des révolutionnaires qui se sont inspirés de l'idéologie maoïste», raconte celle qui, en 1975, âgée de 10 ans et atteinte de polyarthrite rhumatoïde, est chassée avec les siens de la maison familiale. Ses parents sont contraints, comme des millions d'autres Cambodgiens, aux travaux forcés. D'abord transportée de hutte en hutte, elle finit prisonnière de sa paillote. Lada perd sa mère, ses grands-parents et deux de ses frères.
Difficile d'aller au Cambodge et de faire fi de l'effroyable génocide. Le pays s'en remet à peine. À Phnom Penh, au Royal Guest House, une pension à prix modeste fréquentée par des routards du monde entier, on présente tous les soirs le film The Killing Fields. Après la visite du charnier de Choeung Ek et du musée Tuol Sleng, la fameuse prison S-21 établie dans un ancien lycée où 15 000 personnes ont été torturées et exécutées dans des «champs de massacre» voisins, sous les ordres de «Douch» — aujourd'hui jugé pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité, torture et meurtre avec préméditation, visionner ce film sur les lieux du drame laisse sans mot.
Siem Reap est le cliché de la petite ville grouillante, affairée et bruyante, parcourue en tous sens par des autos, des motos, des tuk-tuks et des vélos. Un peu à l'image de Phnom Penh, mais en plus charmant encore avec ses anciennes maisons de négoces françaises, ses parcs et ses boulevards arborés. Le centre-ville s'articule autour du vieux marché, le psar Chaa. Le coeur de laville se parcourt à pied en une heure ou deux. Et la vie s'improvise sur chaque bout de trottoir.
Le Bou Savy Guesthouse, un petit hôtel à prix modique géré par une famille khmère, Mme Bovuth et ses trois fils, est une bonne adresse. Situé dans un jardin de manguiers à proximité du coeur de la ville et de la route principale qui mène aux temples, on y parle le français et l'anglais. La famille Bovuth soutient, à l'instar de bien d'autres, des organismes de charité. Comme, par exemple, The White Bicycles, une agence de location de vélos qui aide les communautées locales à réaliser des levées de fonds pour concrétiser des projets de développement durable.
Au Bou Savy Guesthouse, la location d'un vélo coûte 2 $US par jour; de ce montant, 1,50 $ ira directement à un organisme de charité et 0,50 $ servira à l'entretien des vélos. Ainsi va la vie dans ce pays de 14 millions d'habitants dont la survie est suspendue à l'aide internationale.
Il n'y a pas d'ordre pour visiter les temples d'Angkor; tout dépend du temps dont on dispose et des goûts de chacun. On suggère toutefois deux itinéraires balisés: le petit et le grand circuits. Le premier, long de 17 kilomètres, commence à Angkor Vat et se dirige vers Phnom Bakheng, Baksei Chamrong, Angkor Thom, Chau Say Tevoda, le Thommanon, le Spean Thma et le Ta Keo. Puis il poursuit vers le Ta Nei, le Ta Prohm et enfin le Banteay Kdei et le Sra Srang.
L'autre circuit, d'une longueur de 26 kilomètres, est une extension du premier. Au lieu de quitter la cité fortifiée d'Angkor Thom par la porte est, il emprunte la porte nord et continue jusqu'au Preah Kan, au Preah Neak Poan, au Ta Som, au Mebon oriental et au Pre Rup. Le site d'Angkor s'étend sur 400 kilomètres carrés et abrite 287 temples.
On a le choix entre trois forfaits: un jour, trois jours, une semaine. La passe de trois jours permet de visiter l'essentiel du site à la condition d'y consacrer la journée complète et de faire appel à un taxi conventionnel le dernier jour pour aller jusqu'aux sanctuaires les plus éloignés. Celle d'une semaine procure le plaisir de flâner. Une chose est sûre, il faut bien planifier son séjour car ces forfaits sont valables pour des journées qui se suivent. Impossible de proroguer!
L'anarchie
Au départ de Siem Reap, sur la N6, c'est l'anarchie. Il y a sûrement un code pour cyclistes paumés. Du plus grand au plus petit, peut-être? Ou du plus autoritaire au plus faible? Aller donc savoir! Seule une poignée de feux de circulation tentent de dompter le flot de motos, de tuk-tuks, de voitures. Heureusement, il n'y a que quelques kilomètres à parcourir dans la ville. Une fois sur le site, le chemin est calme et en bon état. Les débutants n'ont rien à craindre, sauf la chaleur.
À trois kilomètres à l'est de l'entrée orientale d'Angkor Vat, depuis la route qui relie Angkor Vat à Bantei Kdei, on aperçoit les cinq tours en brique de Prasat Kravan. La décoration intérieure indique que ce temple était consacré à Vishnou. C'est une occasion unique d'examiner la technique khmère de la pose de briques. Le liant était composé de chaux et de poudre de brique.
Un peu plus loin, le petit temple bouddhiste Bat Chum a été construit par Kavîndrârimatha, le seul architecte khmer dont on connaisse le nom. Sur les piédroits de chacune des portes, il y a une inscription portant un poème louant le constructeur. Les dernières stances de chaque poème supplient les propriétaires d'éléphants, ces «briseurs de digues», de ne pas faire marcher leurs animaux sur les digues en terre de Srah Srang.
Le parcours à vélo est facile, mais avec la visite des temples, l'itinéraire est sportif. On ne fait pas que rouler dans la journée, on marche et on grimpe des escaliers parfois très pentus. Les restaurants ne manquent pas sur le site d'Angkor, sauf qu'ils ne sont jamais là au moment opportun. Mieux vaut prévoir de l'eau et quelques grignotines en cas de baisse subite d'énergie.
Le Ta Phrom est spectaculaire. Si les arbres qui ont poussé en entrelaçant les pierres de leurs racines sont des facteurs de destruction, ils créent une atmosphère fantastique. Ce temple est maintenu dans un état de négligence apparente pour montrer à quoi ressemblaient les monuments d'Angkor au moment de leur découverte au XIXe siècle. La décision vient de l'École française d'Extrême-Orient. Le fromager se distingue par ses racines épaisses et sa stucture noueuse; le ficus, plus petit, par son réseau plus ou moins serré de racines plus fines.
Étant donné que la cité fortifiée d'Angkor Thom couvre quelque 10 kilomètres carrés, il est préférable d'y consacrer une journée complète. À son apogée, la cité aurait compté un million d'habitants. Les principaux monuments du site, le Bayon, le Baphuon, l'Enceinte royale, le Phimeanakas et la terrasse des Éléphants se regroupent au coeur de l'enceinte fortifiée. Chaque porte a ses statues géantes de 54 dieux d'un côté et de 54 démons de l'autre, un thème provenant de la légende du barattage en mer.
Le Bayon enchante, c'est l'un de mes favoris. On dirait le chaos, la fin du monde. On aurait pu y tourner Le Seigneur des anneaux. De façon ultime, on a utilisé la masse des tours à visage pour créer une montagne de pierre avec des pics de plus en plus hauts. Les 37 tours visibles sont sculptées de quatre visages, un à chaque point cardinal. Têtes grimaçantes, souriantes ou impassibles, tout au long de la visite on a l'impression d'être observé. Étrange!
Angkor Vat est la cerise sur le sundae: on y accorde facilement une journée complète. Et on se pince pour être sûr de ne pas rêver. Il faut pique-niquer dans ses jardins ou devant la marre aux lotus. Angkor Vat est une ville au plein sens du mot, la «ville qui devint une pagode», construite sous le règne de Sûryavarman II comme temple funéraire en l'honneur de Vishnou, la divinité hindoue à laquelle le souverain s'identifiait. Ses apsaras sont très photogéniques.
On peut se restaurer aux abords de la plupart des grands temples. Des dizaines de stands de nouilles sont installés au nord du Bayon et à proximité des temples centraux. Des restaurants aussi, joliment décorés. Partout, on mange très bien. Il faut essayer la kyteow, une soupe de riz de nouilles, la samlor chapek, une soupe de porc parfumée au gingembre, ou la samlor ktis, une soupe de poisson à la noix de coco et à l'ananas. L'aventure peut aussi être très gastronomique.
En vrac
-Un voyage au Cambodge est réalisable à longueur d'année. Cependant, le moment idéal se situe entre les mois de décembre et février, alors que le taux d'humidité est bas, qu'il y a peu de pluie et qu'une brise rafraîchissante balaie le pays. La saison des pluies dure de mai à octobre. Durant cette période, les déplacements peuvent devenir plus difficiles à vélo.
-La devise est le riel (1 $US pour 3968 riels), mais aussi, le dollar américain est utilisé dans l'ensemble du pays. Bien qu'on retrouve des distributeurs d'argent, mieux vaut avoir de l'argent comptant.
-On parle officiellement le khmer, mais beaucoup d'inscriptions ainsi que les menus dans les restaurants sont traduits en français.
-Le visa obligatoire s'obtient à l'aéroport. Il faut prévoir une photo grandeur passeport.
-À consulter pour se préparer: Cambodge, aux éditions Lonely Planet.
-Le site Internet de l'agence de location de vélos pour la Charité, The White Bicycles: www.thewhitebicycles.org.
-À lire pour se mettre dans l'ambiance: La Voie royale, d'André Malraux.
-À visiter à Phnom Penh en guise de préparation. le Musée national des beaux-arts, au nord du Palais royal. Il offre un panorama de l'art khmer du VIe siècle. Plusieurs chefs-d'oeuvre proviennent d'Angkor. Le musée date de 1920. Le Vat Ounalom, un grand temple d'une quarantaine de bâtiments fondé en 1443 et qui abrite quelques moines. Le Vat Phnom, considéré comme le plus ancien temple de Phnom Penh.
-À visiter près de Siem Reap. Le plus grand lac d'eau douce du sud-est asiatique, le Tonlé Sap, à une quinzaine de kilomètres au sud de Siem Reap. Reconnu en tant que réserve de la biosphère par l'UNESCO depuis 1997, il est un des plus poissonneux au monde. Pendant la mousson, sa taille passe de 160 kilomètres de long et 35 de large à 250 kilomètres de long et presque 100 de large. Puis, les villages flottants de Kompong Khleang et de Chong Kneas, sur le lac Tonlé Sap. Ces villages se déplacent au gré des saisons.
-Restaurants. À Phnom Penh: Friends (www.friends-international.org) pour un bonne cause, mais aussi pour son excellente cuisine. On y prépare d'excellents tapas, des jus de fruits et des cocktails exquis. Friends forme d'anciens enfants des rues aux métiers de l'hôtellerie. À Siem Reap: Dead Fish Tower, où a nourriture est excellente et le décor superbe. On s'y installe sur des coussins de sol, devant des tables basses dans des troncs d'arbre
-Hôtel. À Siem Reap: le Bou Savy Guesthouse (www.bousavyguesthouse.com). Peu cher et superbe.
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