- Itinéraire en quatre escales d'un traversier dans la mer
Entre les débarcadères animés, il file à toute allure. Mais à chaque quai, son rythme épouse l’indolence des paysages caribéens. Gens pressés, s’abstenir ! On le nomme l’Express des Îles. Il sillonne la mer des Antilles entre Sainte-Lucie, la Martinique, la Dominique et la Guadeloupe (et ses îles). Il embarque et débarque les voyageurs pour les faire remonter parfois deux ou trois jours plus tard. Un moyen de transport attrayant pour qui veut butiner d’île en île et découvrir des paysages.
Article publié dans le quotidien Le Devoir du 17 décembre 2016
Sur le pont détrempé par les houles du canal de la Dominique, il y a là une bande de randonneurs martiniquais qui, comme nous, comptent bien conquérir à pied Morne Diablotin et Boiling Lake, ce fameux lac qui bouillonne au fond d’un immense cratère.
Une randonnée de six heures sur les flancs et dans les entrailles du magnifique parc national des Trois-Pitons, inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Des paysages à couper le souffle, des montées et des descentes escarpées qui mènent à la vallée de la Désolation, où l’on se promène au milieu d’un paysage lunaire ponctué de fumerolles sulfureuses et de sources chaudes.
Parmi les îles volcaniques des Petites Antilles — Saint-Vincent et les Grenadines, Sainte-Lucie, la Martinique, les Saintes et Basse-Terre en Guadeloupe, Montserrat, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Eustache —, le Commonwealth de la Dominique est le royaume de la randonnée. On y dénombre une dizaine de volcans et autant de lacs qu’il y a de jours dans l’année. Mais pour y accéder, c’est laborieux, car l’île ne dispose pas d’aéroport international. Aucun avion ne s’y rend directement de l’Amérique du Nord ou de l’Europe.
Et vogue le navire
Si chaque île des Petites Antilles est desservie par des avions de compagnies locales comme Liat ou Air Antilles Express, l’idée de se déplacer en bateau de l’une à l’autre nous était attrayante, tant pour les prix que pour le spectacle de la mer et la rencontre avec les insulaires.
Mais avec cette réserve qu’au moment d’organiser son voyage, il faut prévoir passer une ou deux nuits sur l’une ou l’autre des îles puisque l’Express n’assure pas l’aller-retour le même jour. La compagnie maritime propose toutefois des offres invitantes de séjour clés en main.
C’est que l’entreprise, qui aura 30 ans en 2017, « souhaite devenir à terme un complément aérien des longs-courriers en provenance de l’Europe et de l’Amérique du Nord, explique Didier Coffre, directeur commercial de l’Express des Îles. Un moyen dynamique d’entrer en relation avec la population et d’accéder à des îles qui semblent au bout du monde. »
Pour dorer son image, la société s’est offert en 2011 une nouvelle identité visuelle et a créé la filiale Jeans for Freedom, une compagnie à bas prix qui permet des escapades d’une à plusieurs journées dans les Petites Antilles, à partir de la Guadeloupe et de la Martinique.
Les vacanciers, par exemple, qui seront en Guadeloupe le 11 mars 2017 pourront embarquer à bord de Jeans pour une journée découverte de Montserrat, avec visite de l’ancienne capitale
Plymouth en partie ensevelie sous les débris volcaniques depuis juillet 1995.
Quant à ceux qui seront en Martinique le 20 mai ou le 18 juillet 2017, la filiale propose une escapade sur l’île de Saint-Vincent, avec visite de Kingstown et de son marché, ainsi que des ruines de Fort-Charlotte, à 182 mètres, d’où la vue sur les Grenadines laisse sans mot.
La Société Express des Îles possède deux grands catamarans à vitesse rapide : le Gold Express qui peut transporter jusqu’à 446 personnes et le Perle Express qui accueille 360 passagers et 10 véhicules (pour les visiteurs à destination de la Guadeloupe et de la Martinique).
Le trajet de Castries, à Sainte-Lucie, jusqu’à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, dure environ sept heures.
Le bateau fait d’abord escale à Fort-de-France, en Martinique, puis à Roseau, en Dominique. Entre les escales, la traversée dure en moyenne 90 minutes. À cela, il faut ajouter une trentaine de minutes d’attente à chaque port, le temps de débarquer et d’embarquer des passagers.
Une semaine sur chaque île donne le temps de visiter, mais aussi de grimper des volcans à grand spectacle. Certains éteints ou assoupis, d’autres dégageant toujours des fumerolles de soufre attestant que l’activité volcanique est encore d’actualité dans cette région des Petites Antilles.
Sainte-Lucie
Nous aurions pu amorcer ce voyage en Martinique avec l’ascension de la montagne Pelée, ou encore en Guadeloupe sur les flancs de la Soufrière, mais nous aimions l’idée de commencer par la montée des deux géants géologiques que sont Gros Piton et Petit Piton, à Sainte-Lucie.
La balade au sommet de ces mornes inscrits au patrimoine de l’UNESCO depuis 2004 débute au Centre d’interprétation de Fond Gens libres. Un nom étrange, qui sonne plus comme un beau requiem pour la liberté que comme point de départ d’une marche ardue sur les flancs d’un volcan.
Combien d’esclaves en fuite sont venus se réfugier sur les pans de ces pics verdoyants et dans les grottes et les tunnels du canyon de l’anse L’Ivrogne, lors de la rébellion de 1748. Et de brigands aussi. Cette région difficile d’accès était un repaire idyllique pour ces hommes en fuite. Si bien qu’on donna au site le nom de Fond Gens libres, qui signifie « vallée des hommes libres ».
À Castries, nous flânons sur Brazil Street et Derek Walcott Square, bordés de coquettes maisons de couleur. Nous entrons dans la cathédrale Immaculée-Conception (1897), célèbre pour ses fresques murales, oeuvres de l’artiste local Dunstan Saint-Omer. Et poursuivons notre chemin jusqu’au marché public pour siroter une Piton (bière locale) sur la terrasse d’un café.
La sirène mugit, c’est l’heure d’embarquer. Cap vers la Martinique.
Malgré la houle qui secoue l’embarcation, la discussion sur le pont va bon train. Assis à notre droite, trois musiciens Saint-Luciens vont à Roseau pour assister à un concert de jing ping, musique traditionnelle dominiquaise qui rappelle un peu la musique acadienne en Louisiane.
Un Guadeloupéen installé pas très loin se mêle à la discussion. « Chez nous, on joue du ka, sorte de tambour traditionnel, dit-il. Et on danse le zouk et la biguine. » Quant aux
Martiniquais, ils parlent de bèlè, de chouval bwa (musique qui accompagne les manèges de chevaux de fer), de damniè (dans de lutte), de mazurka et de biguine créole.
« La musique, au même titre que la religion, est un élément primordial de la vie des Caribéens, écrit le géographe Romain Cruse dans son livre Une géographie populaire de la Caraïbe. On ne se surprend donc pas de rencontrer sur ce transbordeur des amateurs qui butinent d’une île à l’autre pour assister aux nombreux festivals, spectacles et célébrations.
Martinique
En entrant dans la baie de Fort-de-France, notre regard se pose sur le fort Saint-Louis. Bâtie à la Vauban au XVIIe siècle, cette citadelle militaire est l’une des mieux conservée des Antilles.
Vue de la mer, l’île de 70 kilomètres, dans sa partie la plus longue, et de quelque 30 kilomètres dans la section plus large, ressemble à une montagne russe avec ses pitons embrasés par les rayons du soleil. La montagne Pelée est couverte d’une étonnante pile de nuages blancs.
Outre le moment magique de gravir un volcan qui a su se montrer terriblement meurtrier en 1902, l’intérêt réside dans les étonnants paysages sommitaux. Le sentier emprunte une succession de ravinements et d’enrochements raides où il faut s’agripper de pierre en pierre. Les flancs sont jonchés d’herbes, de fougères et de framboisiers. De l’Aileron, par beau temps, on découvre une vue splendide sur Saint-Pierre, à l’ouest, et le massif des Pitons du Carbet, au sud.
La Pelée doit son nom à son dôme dépouillé d’arbres. Du cratère formé par l’explosion de 1902, on aperçoit les murailles des trois dômes nés d’éruptions successives : morne Lacroix à 1243 mètres, point culminant avant 1902 ; dômes jumeaux à 1362 mètres, formés lors de l’éruption de 1902 ; le Chinois à 1397 mètres, issu de l’éruption de 1929, point culminant de l’île.
Un petit creux avant de reprendre le large ? Direction : les snacks du grand marché aux épices de Fort-de-France pour manger créole à la bonne franquette entre deux emplettes. Mon favori ? Chez Carole. Elle est adorable, souriante et cuisine un excellent poisson sauce chien.
La Dominique
La houle secoue l’embarcation dans le canal de la Dominique. Devant l’étrave du bateau, une bande de dauphins cabriolent comme pour attirer les regards des passagers sur le pont. À l’horizon, un amas de nuages épais déverse son contenu sur le relief escarpé de la Dominique.
Waitikubuli, ou « île haute », c’est ainsi que les Kalinagos nommaient leur île. Quant à Christophe Colomb, il baptisa l’île « Dominique », du jour de la semaine où il l’aperçut, le dimanche 3 novembre 1494, et renomma « Caraïbes » les farouches Kalinagos qui lui tinrent tête. C’est en contournant en voiture le parc national de Morne Trois-Pitons, qui fait tant damner les automobilistes, que l’on comprend l’influence de la géographie tourmentée sur l’histoire coloniale de l’île. Les indiens caraïbes, installés sur l’île avant l’arrivée de Christophe Colomb, doivent leur vie à ses reliefs escarpés. Cachés dans la nature, ils ont échappé à l’extermination.
À ce jour, ils sont plus de 3000 à vivre sur un territoire qui leur appartient et sur lequel ils ont leurs propres us et coutumes, alors qu’ils ont été massacrés partout ailleurs dans la Caraïbe.
Guadeloupe
Ce voyage serait incomplet sans une incursion dans le parc national de la Guadeloupe, classé Réserve mondiale de la biosphère par l’UNESCO. Pour randonner jusqu’aux trois imposantes chutes du Carbet, mais aussi pour grimper au sommet — jonché de crevasses d’où jaillissent d’épaisses fumerolles — de la Soufrière, point culminant des Petites Antilles, à 1467 mètres.
L’archipel guadeloupéen s’inscrit davantage dans la vie caribéenne grâce aux nombreux déplacements offerts d’île en île. Vers la Dominique, la Martinique et Sainte-Lucie, mais aussi vers des îles plus près : Marie-Galante, la Désirade, Les Saintes et les îles de la Petite-Terre.
Chacune a son paysage typé, ses plages, ses sentiers de randonnée, son histoire, son patrimoine, son créole et sa musique. Le traversier nous en donne déjà un premier aperçu. Bien au-delà des plages et des cocotiers, ces îles sont des condensés d’humanité et de culture.
En vrac
S’y rendre. Air Canada et Air Transat offrent une ou deux fois par semaine des vols vers la Martinique et la Guadeloupe au départ de Montréal. Les escapades d’île en île se combinent très bien à un séjour plus long dans les Antilles françaises. Les plus populaires d’entre elles se font au départ de Fort-de-France ou de Saint-Pierre, en Martinique, et de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe.
Préparer son voyage. Pour les horaires et les offres de séjour clés en main de l’Express des Îles, ou de Jeans for Freedom.
Informations touristiques générales sur la Martinique ; sur la Guadeloupe et ses îles ; sur Sainte-Lucie ; sur la Dominique. Pour la location de logements Airbnb.
Carnaval dans les îles. Guadeloupe ; Martinique ; Dominique (carnaval et festivals de musique).
Suggestions de livres d’auteurs antillais : memoiredencrier.com/auteurs.
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